samedi 22 décembre 2012

Serviette sur la tête


À la maison de retraite je suis arrivé si tard que c’était l’heure du coucher. Dans les couloirs plusieurs aides soignantes emmenaient par la main des vieilles claudicantes, branlantes, tremblotantes. Maman, elle, était dans son lit bien calée, bien au chaud, calfeutrée depuis longtemps.
J’ai croisé sa voisine assise sur un énorme fauteuil qui barrait le passage au milieu du couloir. Elle m’a demandé si je pouvais l’emmener dans sa chambre. Bien volontiers. Je lui tends la main. Non, elle refuse. Je lui propose le déambulateur tout proche. Non. Elle ne peut pas marcher. Ah ! À cette heure elle ne peut pas marcher ? Et cependant le reste de la journée elle marche. (Toujours ce manque de volonté, cette envie de tout laisser aller, d’abandonner…)
Un vieux piétine, tiré par la main par une aide-soignante. Il a sa serviette de table qui lui couvre le crâne comme un châle. L’aide-soignante a certainement insisté plusieurs fois pour la lui enlever, puis elle lui a laissée par lassitude : après tout, s’il veut garder sa serviette sur la tête…
Je croise madame Deuxpieds, fervente partisane de la fin du monde — laquelle devait avoir lieu dans la soirée d’hier. Je l’apostrophe:
« Alors ? cette fin du monde?
— Ça devait être la fin d’un monde, pas la fin du monde.
— Reconnaissez que c’était des bêtises…
— Et 39-45, dites-moi, c’était des bêtises ? »
Elle est la seule avec qui on peut discuter un peu, faire un raisonnement minimal. Et elle a réponse à tout. 



mercredi 12 décembre 2012

Un drôle de type


«Ce quelque chose qu’on appelle le charme et qui est à l’amour ce que la grâce est à la beauté, c’est-à-dire quelque chose de mieux que l’amour même.»

Après réflexion je ne cite pas le paragraphe qui précède la phrase ci-dessous. Cet homme m’échappe…


«Il est insensé, il est véritablement imprudent (dans l’ordre des affections), il est coupable de laisser passer certains moments uniques dans la vie, certaines rencontres et conjonctions d’étoiles, certains printemps : laisser perdre de tels moments qui ne reviendront jamais, c’est tenter la destinée, violer la tendresse, c’est mériter tous les malheurs.»
Sainte-Beuve

jeudi 6 décembre 2012

Les tendons de la coiffe des rotateurs

Ce soir : on en sait un peu plus. Maman n’a pas eu d’avc. (Avant on ne disait pas accident vasculaire cérébral, mais on disait, expression qui est sans doute moins précise mais qui dit bien ce qu’elle veut dire : congestion cérébrale. Exemple : Lalo a eu une congestion cérébrale à force de trop de travail au cours de la composition de Namouna. J’aime beaucoup la musique de Lalo.)

Ce sont les tendons de la coiffe des rotateurs. L’un est usé. C’est tout. Son bras droit ne marchera plus jamais. On ne va pas l’opérer à son âge et dans sa condition. Il est très improbable que les quatre autres prennent le relais, se fortifient de façon à compenser la perte de celui qui ne marche plus. La mécanique se détraque petit à petit. Il n’y a plus qu’à attendre la dégradation suivante.




mercredi 5 décembre 2012

Avant-hier, avant, bientôt — et pas de récompense?


Nous sommes assis tous les deux regardant dans la même direction : la télévision et le jeu de chaque soir. Chacun sait que l’autre n’écoute qu’avec une oreille distraite, inattentive car il est plongé dans ses pensées. Nous avons à peu près les mêmes pensées que nous taisons. Maman me prend la main, qu’elle serre fort, qu’elle caresse, qu’elle attire pour la baiser (je n’aime pas trop ce geste). Longs silences.
Puis elle dit : « il faut bien mourir un jour. »


lundi 3 décembre 2012

La politesse des étoiles

«Lorsque, le soir du 3 juin 1769, Vénus devait passer devant le Soleil, on fit des préparatifs pour la voir et, en effet, on la vit apparaître à l’heure précise; mais quand, le 8 juillet, la princesse de Prusse devait passer devant Göttingen, on l’attendit jusqu'à minuit. Elle n’arriva que le 9 au matin, à dix heures»
Lichtenberg


dimanche 2 décembre 2012

Deux décembre deux mille douze



Aujourd'hui anniversaire de ma mère et de ma fille aînée.
Soleil pâle sur la plaine.
Après avoir vu Astérix et Obélix au service de sa majesté, à quatre heures et demie, nous étions à l’hôtel-Dieu. Au sortir de l’ascenseur, nous avons entendu des bruits, au loin, au fond du couloir de l’Ozanne. Ma mère appelait de sa chambre. On ne sait pas si elles appellent quelqu’un, une aide, ou s’il ne s’agit que de s’exprimer, de dire à personne, d’une sorte de cri dans le vide. C’est la première fois que j’observe un tel comportement de la part de ma mère — mais je ne suis pas là toute la journée, peut-être y a-t-il des heures où elle crie dans le vide? Elle criait parce qu’elle s’ennuyait, seule dans son fauteuil roulant, la télévision éteinte, face au mur de sa chambre.
Notre arrivée lui a fait du bien. Elle a à peine exprimée sa surprise de nous voir. Un pâle rayon de soleil de décembre, mais un rayon.
Nous nous sommes installés dans la petite salle commune aménagée entre deux chambres. Un vieux buffet, une plante verte, une table en formica, une antédiluvienne télé. Maud a sorti le gâteau, les assiettes, les couverts, les serviettes en papier, les verres, le vouvray, les bougies. Bien entendu elle ne se souvenait pas ou plutôt elle ne savait pas, que c’était son anniversaire. J’ai pris des photos. Jusqu’à quand une photographie est-elle montrable? Les aides-soignantes, les infirmières en prennent à l’occasion d’événements, qu’elles affichent dans le couloir au vu de tous les visiteurs.
Maud moulin à paroles, mais pleine de tact, qui sait y faire. Maman a soufflé ses bougies, elle a à peine touché au vouvray, mais elle a fini sa part de gâteau. Maud comme d’habitude a fait toute la conversation, a animé la tablée, nous a égayés, nous a fait sourire, nous a fait rire. Cela a été un bon moment, nous avons été heureux.
Et puis soudainement ma mère a voulu regagner sa chambre. Je n’ai d’abord pas compris, j’ai cru qu’elle était fatiguée, que Maud et sa vivacité la fatiguait. Je l’ai remmenée dans son fauteuil roulant. J’ai compris, j’ai senti, elle avait fait dans sa couche.
Pourquoi les bonheurs ne peuvent-ils être parfaits?
Elle en a été consciente, elle aurait voulu rester plus longtemps avec nous, mais elle a estimé que décemment ce n’était pas possible, qu’il valait mieux rentrer dans sa tanière, être seule, ne pas être avec les êtres aimés, vivre sa douleur, sa honte seule, se cacher, se terrer.

vendredi 30 novembre 2012

Signes de main



Madame Deuxpieds a eu deux enfants avec un homme qui ensuite a disparu —  est parti. Puis, en Algérie, sans se marier («Mais c’était rare à l’époque d’avoir des enfants sans se marier?»; elle esquive ma question d’un revers de main), elle a eu cinq autres enfants avec un Arabe. Quand «cela a commencé à aller mal» on lui a fait comprendre qu’il fallait «rentrer» et elle est revenue en France avec ses enfants. Si je calcule bien elle avait trente ans en 1962.
«Et le père de vos enfants?»
Elle passe le plat de la main devant sa gorge.
«Oui, oui, dit-elle en hochant la tête de la façon si caractéristique qu’elle a pour bien souligner ses affirmations, oui, oui, vous comprenez, il était du côté des Français…»
Elle a élevé seule ses sept enfants.
«Ma mère m’avait appris. Chez nous c’était marche ou crève.»

(Le bras droit de ma mère ne remarche toujours pas. Un jour, on s'éveille, quelque chose ne marche plus, on y porte à peine attention; quelques mois passent, on se rend compte que c'est fini, cela ne marchera plus jamais.)

mercredi 28 novembre 2012

Ascèse


Vieux Puteaux. Pas de client (nous sommes deux à déjeuner). Pas de chauffage. Pas trop de choix: au menu deux plats. Mais pas de deuxième plat aujourd’hui. Pas de vin, on peut avoir du thé et il y a des canettes de coca ou de perrier. Pas de fromage. Pas de dessert.
Pas de musique.

mardi 27 novembre 2012

La longue chronique des jours

Idem.

Mâles en automne


Une fourgonnette surgit, freine brusquement, stationne à l’angle. Elle est jaunâtre, avec ces bandes de rayures rouge et blanche qui signalent l’entreprise de travaux plus ou moins publics. Des hommes en descendent, une dizaine, qui étaient entassés à l’arrière. Ils sont jeunes, ils sont beaux, sexys comme des pompiers, à plaire à telle ou telle de mes amies. Ils sont tous habillés de la même combinaison de travail, et, par-dessus, ils ont revêtu un mince gilet jaune fluo afin qu’on les repère de loin. Ils tiennent tous leur bite à la main. Ces bites grosses, noirâtres, gluantes, serpentines, molles, obscènes, ils les exhibent à la vue de tous. Ils comparent, ils mesurent, chacun touche celle de l’autre pour vérifier si elle est plus longue ou plus souple que la sienne. Ils jouent avec, l’agite en tout sens ; ils rient, fiers de leur virilité, heureux comme des hommes. Puis ils se séparent, et chacun s’en va par la nature ; ils vont s’égayer dans les rues voisines, les avenues, les ruelles, les parcs, ils vont, pour éprouver leur jeune puissance, souffler sur les feuilles mortes.


lundi 26 novembre 2012

Albatros mal en point



Le bras droit de maman ne fonctionne plus ce soir. Elle a commencé à manger avec sa main gauche. Elle en mettait la moitié sur sa serviette, ou sa robe, ou par terre à côté. Viande hachée, pois cassés. L’infirmier est venu. Il a constaté qu’elle serrait bien fort sa main, qu’elle bougeait l’avant-bras et est reparti sans plus d’inquiétude. Je lui ai donné à la cuiller la petite moitié de l’assiette qu’elle a avalée de plus ou moins bon gré, puis une petite barquette de semoule au café. Madame Deuxpieds a dit que jamais elle n’accepterait qu’on la nourrisse ainsi.
«Vous mourriez de faim alors ?
— Oui. Crever! c’est ce que je veux.» 
Ma mère a essayé de lever successivement ses deux bras, comme si elle s’apprêtait à s’envoler, le gauche marche normalement, le second reste collé  contre sa poitrine.
On verra demain.

dimanche 25 novembre 2012

Deux femmes mystérieuses

Coïncidence, cohérence, et pourtant je ne pars jamais à la même minute, ce n’est pas mon genre, chaque dimanche matin je les découvre qui marchent devant moi dans l’avenue du maréchal Leclerc. Cette avenue, le dimanche, autour de neuf heures du matin, est très déserte. L’une, la plus petite, a les cheveux gris ou blanc, l’autre doit être bien plus jeune, plus grande, plus fine, elle a une chevelure rousse, et des jambes comme des allumettes. Elles sont toujours habillées de la même façon, pas élégantes, pas “classe”. Elles se donnent toujours le bras, serrées l’une contre l’autre. Je me suis demandé si c’étaient deux amies, la mère et la fille (le mari allant dans un café jouer au PMU), deux religieuses qui vivraient dans une hlm, formant une minuscule communauté avec deux ou trois autres, ou alors deux anges inconnus de tous, qui ne sont pas de notre Terre. Je fais un peu le stalker bienveillant, parce qu’elles ne marchent pas vite et que je suis obligé de ralentir mon allure pour ne pas les dépasser. Je ne les ai jamais vues de face. 




Je serais incapable de les reconnaître. Toujours elles prennent le même chemin. Il y a d’autres églises et d’autres cérémonies, à d’autres heures, plus proches de notre quartier que la cathédrale et sa messe de neuf heures. Mais justement cette messe est tôt, pratique si l’on a à faire après, cette messe est la seule qui est en grégorien, et cette messe a lieu dans un des plus beaux monuments de France. Je ne les ai jamais vues de face et, dans la cathédrale, jamais je ne m’aviserais de m’asseoir intentionnellement près d’elles. Elles sont très pieuses, avec un peu d’ostentation : agenouillements, etc. À la sortie elles repartent comme elles sont venues. Elles n’adressent jamais la parole à personne. Je les suis rarement alors. La filature de neuf heures est fortuite, celle de dix heures serait délibérée, et donc malvenue. Cependant il m’est arrivé, une des rares fois où je rentre aussitôt, de les retrouver le long du chemin. Au retour toujours elles prennent l’avenue du maréchal Patton, laquelle, à partir de la place Jeanne-d’Arc, s’écarte progressivement de l’avenue du maréchal Leclerc. J’en déduis logiquement qu’elles habitent pas loin de chez nous, entre les deux avenues. J’ai imaginé que c’était parce qu’elles allaient acheter leur pain à la boulangerie qui est à l’angle de notre rue qu’elles prenaient ce chemin au retour, mais ce n’est pas cela. Elles continuent tout droit. Je ne les jamais suivies jusqu’à chez elles. Et je ne les ai jamais croisées dans le quartier un autre jour de la semaine.

samedi 24 novembre 2012

Babygro

Un des rares hommes, tout recroquevillé, qui ressemble au vieillard libidineux de Benny Hill, est habillé d’un pyjama d’une seule pièce, blanc, parsemé de fleurs des champs de toutes les couleurs. L’aide-soignante se penche vers lui, le cajole, lui prend la main. Il est résigné et obéissant. Ils partent tous les deux à pas comptés vers sa chambre.

Maman a encore un peu de mémoire. Hier elle se souvenait que la veille au soir je dînais à Paris avec des amis ; et elle reste ma mère: elle m’a demandé si je n’étais pas rentré trop tard.

Maman ne perd pas le nord. Je lui dis que ma fille passe le week-end à Luzarches : « C’est en Seine-et-Oise ça ? »

Maman reste lucide. Je pousse son fauteuil roulant dans le couloir pour l’emmener dans sa chambre. Une femme nous bloque avec son fauteuil roulant stationné en travers. Elle voit qu’on arrive et au lieu de se garer elle fait exprès de rester en plein milieu pour nous empêcher de passer. C’est celle qui ne parle pas et qui relève sa chemise jusqu’au ventre pour exhiber ses couches (« protections », appelle-t-on cela ici). Je dis à ma mère qu’elle n’est pas très normale.
Ma mère me répond  : « Tu sais, ici, il n’y a pas beaucoup de normaux. »
(Pour me démolir il n'y a pas mieux comme réponse.)

jeudi 22 novembre 2012

Deux cents ans

Madame Deuxpieds s’appelle Paulette.
«On m’a appelé Paulette parce qu’on a cru que ma mère allait mourir ma naissance. Elle n’est pas morte mais je m’appelle Paulette quand même. Je suis née en 32 et je suis toujours là. Une gitane a prédit que je vivrai cent ans et plus. Peut-être deux cents? Elle a dit “plus”, elle ne m’a pas dit combien d’années en plus.»
Maman était seule dans sa chambre. Paulette donc est venue pour parler, pour nous divertir. C’est bien la première fois que cela arrive dans ce lieu où chacune est dans son monde, immergée, engloutie en soi-même, isolée dans sa douleur ou dans ses souvenirs, muette, ignorant les autres proches et le cours d’un monde extérieur qui n’existe plus.

mardi 20 novembre 2012

Dormir seul


Hier soir. Madame Deuxpieds raconte aussi qu’elle ne savait pas pourquoi l’on donnait des doudous aux enfants avant qu’ils s’endorment, et que maintenant elle a compris. Une peluche dans son lit permet d’avoir chaud et de ne pas se sentir seule, on se blottit contre elle. Elle dit cela à la cantonade, avec un ton posé et sérieux.

Dormir seul, dormir avec quelqu’un, dormir seul quand on vieillit, je ne sais quoi dire. D’autant que, vu ma situation…
Quelqu’un (n’importe qui?) près de soi diminue les angoisses, peut-être, pour ceux qui ont besoin d'être rassurés. Beaucoup de vieillards, comme beaucoup d’enfants, ne peuvent s’endormir qu’avec une veilleuse allumée…
Quand mes grands-parents ont déménagé peu après ma naissance, ils avaient la cinquantaine, ils ont installé deux chambres, chacun la sienne. L'on montait un escalier droit, étroit. Arrivé sur le palier, à gauche la chambre de mon grand-père, où je ne pénétrais presque jamais, à droite celle de ma grand-mère, où, avant mes huit ans, je dormais dans un lit-cage. Je ne les ai jamais vu dormir ensemble. (Mon grand-père avait une maîtresse: ceci explique cela?)


Le lapin

Madame Deuxpieds hier soir:
«Je ne mange jamais de viande.
— Et pourquoi?
— Depuis que j’ai vu ma grand-mère laisser mourir lentement, exprès, un lapin qui hurlait de douleur.
— Il y a longtemps?
— Oui, j’avais huit ans, c’était pendant la guerre. C’est pour cela qu’ici j’ai droit à deux parts de dessert.» (Cette dernière phrase dite avec une sorte de gourmandise dans la voix et un regard qui pétille à l’idée du plaisir futur.)

Ma grand-mère arrachait un œil du lapin avec un couteau pointu puis elle le tenait en l’air par les oreilles, le laissant hurler, attendant que le sang s’écoule lentement jusqu’à ce que la mort arrive. Cela durait une bonne minute. Il paraît qu’il n’en était que meilleur à manger. J’ai un film super-huit. On voit ma mère se boucher les oreilles et se détourner de la scène avec un rictus. Puis elle engueule sa belle-mère, scandalisée. Le film est muet, on ne sait pas ce qu’elle crie.

dimanche 18 novembre 2012

Hôtel-Dieu


Madame Detrait a sept enfants. Elles ne les voient jamais. Cela fait tellement longtemps qu’elle n’a plus de nouvelles qu’elle ne sait même pas si elle a des petits-enfants. Elle est la plus vivante, qui bouge, qui marche, qui parle normalement, qui suit les conversations. Madame Detrait est maligne, elle aide les aides-soignantes à débarrasser les tables après le repas afin d’avoir son tilleul avant les autres. Puis elle prend l’ascenseur pour aller respirer dehors en chemise de nuit.
Chaque soir je lui dis « à demain », elle me répond « à deux pieds ».

Cette après-midi maman a participé à l’activité « jus de fruit », elle a épluché des pommes. Je le sais parce que l’infirmière me l’a dit. Ma mère ne se souvenait de rien. Je l’ai remmenée dans sa chambre. Elle a pleuré de me voir partir — ce qui ne lui arrive jamais.

mercredi 14 novembre 2012

Un vers

À Génissac, un jour, ils m’ont fait une farce.
Un jour, donc, un midi, j’ai ouvert ma noix, une de mes noix, car nous mangions beaucoup de noix, en général sur une tranche de gros pain difficile à couper (mais c’est une autre histoire…), nappée d’une couche d’un centimètre au moins de confiture maison (là aussi, la confiture est une autre histoire…) dans laquelle nous fichions nos noix ; j’ai donc ouvert ma noix (le point virgule est copié sur Alexandre Dumas) ; donc j’ai ouvert ma noix, avec la pointe du couteau introduite entre les deux coques dans la partie de la noix où l’on peut l’introduire, car de l’autre côté, on le sait, si l’on a bien observé les noix, l’on ne peut rien introduire du tout, ni même la pointe d’un couteau ; et les deux coques se sont séparées.
Et alors j’ai crié : « Il y a un gros vers dans ma noix. »
Tout le monde s’est moqué de moi autour de la table.
Ils m’avaient fait une farce : ils avaient ouvert une noix, avaient mis dedans un préservatif, et avaient recollé la noix.
Je ne savais pas à quoi ressemblait un préservatif. 

(À partir de cette anecdote j'ai écrit une histoire, que je mettrai peut-être en ligne — une autre fois.)

mardi 13 novembre 2012

Baiser


Pour bien voyager apprenons les coutumes :
  
Dans la majorité des régions de France, on pratique 2 bises, en commençant généralement par la joue droite.
Dans l’est de la France et une partie de la Provence, on pratique 2 bises en commençant généralement par la joue gauche.
Dans la région de Brest, il est de coutume de ne faire qu’une bise.
Dans le Massif central, les départements de la Drôme, l’Hérault, le Gard, en Vaucluse, dans la région d’Arles et les Hautes-Alpes, on pratique généralement 3 bises.
En Poitou, on pratique généralement une seule bise.
Dans le Bassin parisien, en Normandie, en Champagne, le Centre et les Pays de la Loire, on pratique 2 ou 4 bises, en commençant généralement par la joue droite.
Au Luxembourg et en Suisse romande on pratique généralement 3 bises.
En Belgique francophone, on pratique généralement une seule bise mais le nombre varie selon l’endroit. Ainsi, par exemple, à Charleroi, c’est trois, à Tournai, c’est quatre, à Namur, c’est deux.
Au Québec, où la pratique ne s’est généralisée que depuis quelques décennies, on donne 2 ou parfois 3 bises en commençant par la joue gauche tout en se serrant la main droite.
En Serbie, le nombre de bises doit être impair. La seule exception est lors des événements tristes, notamment les funérailles, où le nombre de baisers est alors pair.
En Allemagne, on fait souvent 2 bises aux amis ou aux personnes que l’on connaît. Parfois seulement une ou trois.


Mais méfions-nous des dangers:

Avec la langue, un échange d’environ 250 types de bactéries et d’éventuels virus se produit, et il y a donc un risque de carie dentaire (risque pratiquement inexistant, l’endommagement de l'émail se faisant sur le long terme), de méningite, de mononucléose infectieuse ou d’herpès buccal qui peut, par la suite, se transmettre aux organes sexuels.



A. Boyer: Le Baiser du gaulois (1900)

Toutefois ça peut faire du bien: 

Le baiser permet de réduire les niveaux de cortisol, l'hormone de stress et d’augmenter la production d'hormone de liaison, l'ocytocine. (Wikipedia)  

«Il a tourné sa langue sept fois dans ma bouche avant de me parler d’amour.» (Prévert)


Utilité du blog

Je comprends ça, je comprends tout, j’excuse trop tout, et encore une contrariété, et V me dirait qu’est-ce que tu en as à faire, et je sens que je vais exploser, et je ne vais pas exploser, et pourquoi se mettre dans des états pareils, qu’est-ce que j'en ai à faire que machin déconne et

dimanche 4 novembre 2012

Inscriptions


«Scavés vous bien comment elle a gardé son cœur. C’est qu’on n’a pas tasché de s’en rendre vainqueur.
Comme à la guerre en amour, il faut veiller nuit et jour.
Si l’on n’ayme pas trop, on n’ayme pas assés.
Les noises des amans augmentent leur amour.
Le pouvoir de mal faire en oste le désir.
Il est doux de vivre en aymant.
Plus de solidité que d’éclat.
La cause en est cachée.
Morir per no morir.»

jeudi 1 novembre 2012

À la messe

«Que m’importe un paysage que des yeux aimés n’ont pas reflété.»
François Mauriac

mardi 30 octobre 2012

Iris

«En réalité, je ne connais aucun autre moyen d'avoir de l’affection pour les gens, il faut que je les aime d'amour.»
Iris Murdoch

dimanche 28 octobre 2012

Du célibat des prêtres


«Il faut savoir qu’il y a une grande différence entre les vœux que fait le moine de rester chaste et le vœu que fait le prêtre de garder le célibat. Le moine embrasse expressément la chasteté pour l’amour d’elle-même; mais le prêtre n’embrasse pas le célibat pour l’amour du célibat, mais seulement pour être admis aux ordres sacrés. Le vœu du moine est intérieur et volontaire, étant formé dans son cœur et sa volonté; le vœu du prêtre, au contraire, ne procède pas de sa volonté, mais il lui est imposé par l’Église, qui l’oblige, bon gré mal gré, à cette dure condition sans laquelle il ne peut exercer le sacerdoce. Ce vœu étant ainsi forcé, n’oblige pas si étroitement que fait le vœu volontaire du moine. Aussi est-il bien naturel de s’en dispenser.»
Urbain Grandier

samedi 27 octobre 2012

Avoir une maîtresse



«Claire Clémence Henriette Claudine de Maillé de La Tour-Landry, duchesse de Castries, née le 9 décembre 1796, morte le 16 juillet 1861, fut une des maîtresses les plus célèbres d’Honoré de Balzac. Malgré un amour chaste et une relation physique jamais consommée, elle eut avec lui une aventure qui défraya la chronique de l’époque.» (wikipedia).




dimanche 21 octobre 2012

Dans la série Les grands mystères de l’histoire dévoilés


L’homme, un dimanche, au moment de passer à table, avec une voix gouailleuse: «Qu’est-ce qu’on mange?»
Sa femme hausse les épaules et répond: «La poule au pot.»
Lui: «Encore la poule au pot!»
Elle lève les deux bras, résignée.
Soudain il se précipite dans le couloir, dévale l’escalier quatre à quatre. Au passage, il bouscule un voisin qui rentrait chez lui.
Le voisin l’apostrophe: «Hé! où cours-tu Ravaillac?»

mercredi 17 octobre 2012

Premières fois (IV)


Champignons
Les champignons ne faisaient pas partie des traditions familiales. Y avait-il des traditions dans cette famille ? Nous ne profitions de moments seuls avec nos parents que les mardis des vacances scolaires, parce que c’était leur seul jour de congé de la semaine, mais c’est une autre histoire… Les rares fois où nous allions en forêt, trop aimants et attentionnés, ils nous empêchaient d’approcher à moins de dix mètres de ces curieuses plantes inconnues qui auraient pu nous être fatales.
Les champignons étaient si dangereux qu’ils avaient acquis le caractère sacré d’un dieu mauvais, jamais je n’aurais osé y toucher ç’eût été un sacrilège. Je ne les regardais que de loin, avec crainte.
(Cependant il nous arrivait de manger des champignons de Paris insipides qu’Anne-Marie allait acheter au marché.)
Ce fut à vingt ans un soir à Génissac. Il faut se représenter au cœur de la nuit d’automne une grande bâtisse blanche isolée au milieu des vignes. On peut imaginer que ce soir-là il pleuvait fort, que les volets grinçaient, battus par les vents d’ouest. Une bûche crépitante se mourait dans la grande cheminée en diffusant une mince lueur. À l’écart de la cheminée, nous étions sept, le grand-père et la grand-mère, la mère, Pierre et Françoise, et nous deux, les Parisiens, assis autour de la table ronde, sous une ampoule de quarante watts surmontée d’un abat-jour translucide, maculé de mouches mortes, qui pendait au bout d’un mince fil accroché au haut plafond noirci. Cette lampe laissait tous les murs de la grande salle dans la pénombre. Les visages à peine éclairés par en haut, avec leurs fronts dans l’ombre, les yeux et les dents qui seuls brillaient, présentaient un aspect diabolique. Les deux Parisiens n’en menaient pas large quand Jeanne a apporté le plat de champignons. Elle était tellement réjouie, « vous allez me goûter cela », c’était un luxe, un menu de choix, un raffinement rare, un peu comme les sardines pour les enfants de Pergaud lors de la fête dans leur cabane. Je n’ai pas osé dire non, comme lors de l’épisode des escargots (mais c’est une autre histoire), c’était un tel événement, annoncé depuis des jours et des jours, car il fallait que le temps s’y prête pour les débusquer, avec la température précise, la parfaite humidité qui était nécessaire, qu’il eût été inconcevable de refuser. Nous n’avons pas commencé à en manger avant qu’« ils » aient eux-mêmes entamé leur assiette. Nous nous regardions tous les deux. Nous observions chaque visage tour à tour, et eux nous regardaient, narquois, pendant qu’ils avalaient le plat de si bon cœur, et que nous y tâtions à peine avec appréhension. Je n’ai gardé aucun souvenir du goût de ces premiers cèpes. Dans mon lit, ne trouvant pas le sommeil, j’ai écouté mon estomac et mes intestins. Rien. Tout était normal. J’en avais réchappé.
Plus tard, avec Pierre, nous partions avant l’aube. Il nous est arrivé de faire plus de cinquante kilomètres, par des chemins détournés, en surveillant dans le rétroviseur, au cas où un des voisins se serait avisé de nous suivre, avant d’atteindre l’endroit secret.


samedi 13 octobre 2012

Le début du journal



«Lundi.

Moi.

Mardi.

Moi.

Mercredi.

Moi

Jeudi.

Moi.»
Gombrowicz, 1953.


jeudi 11 octobre 2012

En visite


Nous sommes attablés. Elle me parle de sa taxe foncière.
« Méfie-toi c’est lundi le dernier jour.
— Tu m’agresses là.
— ?…
— Tu es négatif.
— …
— Tu cherches à me démolir. »
Je me lève doucement, en silence, elle reste assise à sa place. Je prends mon sac. Je me penche et lui fais une bise, « Au revoir Sophie ». Je pars.
Elle claque violemment la porte derrière moi.



mercredi 22 août 2012

jeudi 16 août 2012

Premières fois (III)

Filles.
Je n’ai jamais été en avance. La première fois que j’en ai rencontré une, je me souviens fort bien, j’avais quatre ans, je m’en souviens fort bien parce que je me suis dit: «J’ai quatre ans. Est-ce que les filles peuvent aussi avoir quatre ans?». C’est dire comme j’ai eu très tôt le sentiment de leur “étrangèreté”.
La deuxième fois j’avais cinq ans, la voisine était une blonde bouclée déjà rondelette, nous allions à la maternelle main dans la main. J’ai arrêté de la voir le jour où j’ai surpris une conversation de mes parents: «Ils ne sont pas bien tenus dans cette famille, elle a les pieds sales.»
(Ensuite se déroulent de longues années parce que, à cette époque, l’école communale n’était pas mixte.)
La troisième fois, j’avais dix ans. Nous étions une bande de joyeux copains de mon âge. Nous passions nos journées à la plage. Il y avait là une incroyable petite créature de quatre ans de moins que nous qui nous tenait sous sa coupe. Nous ne nous baignions que quand elle en avait envie. Elle nous ordonnait de creuser d’énormes trous et de bâtir des châteaux plus hauts que nous: nous déplacions des tonnes de sable. Nous aimions cela. Elle était notre chef de bande. Elle nous aurait ordonné de tirer les sonnettes, de crever les pneus, de commettre des cambriolages que nous lui aurions obéi comme des toutous.
Mes relations avec les filles avaient mal commencé.

lundi 13 août 2012

Premières fois (II)

Mer.
À l’âge d’un an et un mois j’ai découvert la mer. J’étais plus en avance que pour la montagne. Mes parents avaient loué une chambre dans une pension de famille au Touquet. Ils étaient partis avec un couple d’amis qui avait un garçon de mon âge. Gérard était un méchant, il me «torturait». Mais je ne me souviens pas, ni de ce séjour (il y a une photo). J’aurais d’autres choses à dire sur Gérard et bien d’autres choses sur la famille Soul ou Soûl ou Saoul (mais c’est une autre histoire…).
J’avais à peu près cinq ans lors d’une excursion à Dieppe en compagnie de mes grands-parents (deuxième fois la mer). J’ai retenu la pluie, les galets et un arrêt en gare de Char. Pourquoi ai-je retenu ce nom: Char?
À sept ans j’ai passé mes premières vraies vacances, à Tharon. Mon père avait acheté une auto. Il lui a fallu deux jours pour atteindre la côte atlantique, nous avons dormi à Ancenis. Je me souviens du château d’Angers. Cette forteresse formidable a marqué ma vie de diverses façons (mais ce sont d’autres histoires…). Je me souviens du tramway de Nantes, l’ancien. J’ai vu la mer pour la troisième fois. Le nom «Saint-Michel-Chef-Chef» me faisait beaucoup rire. Le bac de Mindin m’a impressionné (premier bateau). Mais surtout, là-bas, pour ramasser les ordures, il n’y avait pas de camion mais un cheval tirant un tombereau. Naquit ma première vocation: je voulus être éboueur.

dimanche 12 août 2012

Essai.

Ne pas attendre


«Vais-je avoir le courage d’avoir toujours devant les yeux le terme irrévocable pour remplir les jours qui peuvent encore m'être donnés de ce que je serai content d’avoir fait le jour sans lendemain où il sera trop tard pour faire ce que je n'aurai pas fait?»
[ponctuation respectée]
Yves Congar, page 577.


vendredi 10 août 2012

Premières fois (I)

Montagnes.
Toute mon enfance j’ai eu devant ma fenêtre la butte de Cormeilles-en-Parisis. À onze ans j’ai vu les Vosges, à quatorze ans j’ai gravi (par le train à crémaillère) la Rhune, à dix-sept ans (j’étais sérieux) je suis allé au sommet du puy de Sancy (par le téléphérique), à vingt-deux ans j’ai découvert le grand Morgon et le mont Guillaume, à vingt-quatre ans j’ai aperçu le Chamechaude. On peut dire que j’étais un garçon qui n’était pas en avance.

lundi 21 mai 2012

Paroles en l’air


Je croise un couple d’adolescents dans la rue en allant à la gare. J’attrape au vol quelques mots de la fille: «Parce que c’est moi qui déciderais? T’es un gars quand même!»

On me fait une remarque.
«Tu as les lèvres sèches.
— Oui, parce qu’on ne m’embrasse pas assez.»


samedi 19 mai 2012

Valais


«Mais ce qui d’autre part me retient encore, c’est ce merveilleux Valais : je fus assez imprudent pour descendre dans cette vallée, jusqu’à Sierre et à Sion ; je vous avais parlé de la magie combien singulière que ces lieux exerçaient sur moi, lorsque je les vis pour la première fois, l’an dernier à l’époque des vendanges. Le fait que dans la physionomie de ce paysage l’Espagne et la Provence s’entrepénêtrent de façon si étrange, m’avait déjà fortement ému naguère ; car ces deux pays au cours des dernières années d’avant-guerre m’ont tenu un langage plus puissant et plus décisif que tout le reste : et dès lors jugez du fait d’entendre leurs voix réunies dans une vaste vallée des montagnes de la Suisse ! […] c’est ainsi que l’esprit d’un grand fleuve (et le Rhône me fut toujours l’un des plus admirables !) porte à travers les pays les dons et les affinités. Sa vallée est ici tellement large, tellement grandiose, remplie de coteaux dans le cadre des grandes chaînes de montagnes, qu’elle offre sans cesse à la vue le jeu des variations les plus ravissantes, en quelque sorte un jeu d’échecs, composé de collines. Jeu qui distribuerait et déplacerait les collines – c’est bien là l’effet, digne de la création, qu’exerce le rythme de l’ordonnance des objets contemplés, ordonnance qui se renouvelle étonnamment à chaque fois que l’on change de point de vue – et les vieilles demeures, les vieux châteaux forts, se meuvent dans ces jeux d’optique avec d’autant plus de charme que le plus souvent les demeures ont, pour arrière-plan, la pente d’un vignoble, la forêt, le pré, ou de grisâtres rochers, et s’intègrent à cet arrière-plan comme les images d’une tapisserie ; car le ciel le plus indescriptible (presque pas de pluie) prend part de très haut à ces perspectives et les anime d’une atmosphère tellement spirituelle que la position réciproque des choses, tout comme en Espagne, semble, à certaines heures, manifester cette tension que nous croyons percevoir entre les astres d’une constellation.» 
Rilke, lettre à Marie de La Tour et Taxis


mardi 15 mai 2012

Intronisation



Rue d’Ulm, service déminage, embouteillage, badauds, effervescence, caméras de télévision, il paraît que le président, intronisé aujourd’hui, va passer. (Effectivement, aux informations du soir, on le verra saluer dans un discours la mémoire de Marie Curie.)

À quelques mètres, à l’angle de la rue d’Ulm et de la rue Erasme, deux grands jeunes hommes très maigres, collés l’un à l’autre, s’étreignent, se dévorent les lèvres, se caressent les fesses. Personne n’y porte attention. Hors du monde.

Cinq minutes plus tard, à normale, un homme raconte ses retrouvailles avec une universitaire brésilienne qu'il avait perdue de vue pendant dix ans. Ils se sont retrouvés. Regrets du temps perdu. Bonheur d’avoir trouvé le bonheur. L’homme n’est pas très sympathique mais son histoire est touchante. DF écoute avec un intérêt poli.



vendredi 11 mai 2012

Alexandrin

Dormir sur le divan. Sacrilège? Parmi les voix, l'écho des anciennes voix qui y ont chuchoté, se sont confiées, ont murmuré, ont proféré leurs horreurs intimes. Étrange expérience. 

Mário de Sá-Carneiro, hôtel de Nice, 29 rue Victor-Massé, Paris 9e, 26 avril 1916.


«Le filtre de Fréchet n’est pas un ultrafiltre»
Nicolas Bourbaki


Sinon: Alain Connes: êtes-vous pro- ou anti-connien?



mardi 3 avril 2012

Docteur en médecine


« Recette pour faire un docteur en médecine. Grande procession de docteurs habillés de rouge, avec des toques noires; dix violons jouent des airs de Lully. Le professeur s’assied, fait signe aux violons qu’il veut parler, et qu’ils aient à se taire; se lève, commence son discours par l’éloge de ses confrères, et le termine par une diatribe contre les innovations et la circulation du sang. Il se rassied. Les violons recommencent. Le récipiendaire prend la parole, complimente le chancelier, complimente les professeurs, complimente l’académie. Encore des violons. Le président saisit un bonnet qu’un huissier porte au bout d’un bâton, et qui a suivi processionnellement la cérémonie, coiffe le nouveau docteur, lui met au doigt un anneau, lui serre les reins d’une chaîne d’or, et le prie poliment de s’asseoir. Tout cela m’a fort peu édifié.»


John Locke, Montpellier, 18 mars 1676


jeudi 26 janvier 2012

Autour de Flaubert


«Une exégèse complète des matériaux réels utilisés par Flaubert n'est pas seulement impossible; elle serait si étendue qu'elle occuperait des générations de limiers: quand on commence à suivre à la trace les sources d'une fiction, on découvre que chaque source renvoie à d'autres et celles-ci à leur tour à d'autres, de sorte que l'ensemble débouche, tôt ou tard, sur l'histoire totale des hommes.» 
Vargas Llosa, L’Orgie perpétuellepage 90.


«au sujet de ses sources un auteur en général en sait moins que ses exégètes»
Vargas Llosa, page 103.


«Il n’y a pas de désillusion qui fasse souffrir comme une dent gâtée, ni de propos inepte qui m’agace autant qu’une porte grinçante, et c’est pour cela que la phrase de la meilleur intention rate son effet, dès qu’il s’y trouve une assonance ou un pli grammatical»
Flaubert, lettre à Louise Colet, 19 février 1854.


«J’ai bien vu le père Roger passer dans la rue avec sa redingote et son chien. Pauvre bonhomme!… Comme il se doute peu! As-tu songé quelquefois à cette quantité d’hommes qui ont des maîtresses, à tous ces ménages sous d’autres ménages? Que de mensonges cela suppose! Que de manœuvres et de trahisons, et de larmes et d’angoisses!»
Flaubert, lettre à Louise Colet, 23 décembre 1853.


«Crie, blasphème, ravage et tue. La douleur s’apaise avec du sang et puisque tu ne peux assouvir ton amour, gorge ta haine, elle te soutiendra»
Flaubert, Salammbô, page 112.