samedi 19 mai 2012

Valais


«Mais ce qui d’autre part me retient encore, c’est ce merveilleux Valais : je fus assez imprudent pour descendre dans cette vallée, jusqu’à Sierre et à Sion ; je vous avais parlé de la magie combien singulière que ces lieux exerçaient sur moi, lorsque je les vis pour la première fois, l’an dernier à l’époque des vendanges. Le fait que dans la physionomie de ce paysage l’Espagne et la Provence s’entrepénêtrent de façon si étrange, m’avait déjà fortement ému naguère ; car ces deux pays au cours des dernières années d’avant-guerre m’ont tenu un langage plus puissant et plus décisif que tout le reste : et dès lors jugez du fait d’entendre leurs voix réunies dans une vaste vallée des montagnes de la Suisse ! […] c’est ainsi que l’esprit d’un grand fleuve (et le Rhône me fut toujours l’un des plus admirables !) porte à travers les pays les dons et les affinités. Sa vallée est ici tellement large, tellement grandiose, remplie de coteaux dans le cadre des grandes chaînes de montagnes, qu’elle offre sans cesse à la vue le jeu des variations les plus ravissantes, en quelque sorte un jeu d’échecs, composé de collines. Jeu qui distribuerait et déplacerait les collines – c’est bien là l’effet, digne de la création, qu’exerce le rythme de l’ordonnance des objets contemplés, ordonnance qui se renouvelle étonnamment à chaque fois que l’on change de point de vue – et les vieilles demeures, les vieux châteaux forts, se meuvent dans ces jeux d’optique avec d’autant plus de charme que le plus souvent les demeures ont, pour arrière-plan, la pente d’un vignoble, la forêt, le pré, ou de grisâtres rochers, et s’intègrent à cet arrière-plan comme les images d’une tapisserie ; car le ciel le plus indescriptible (presque pas de pluie) prend part de très haut à ces perspectives et les anime d’une atmosphère tellement spirituelle que la position réciproque des choses, tout comme en Espagne, semble, à certaines heures, manifester cette tension que nous croyons percevoir entre les astres d’une constellation.» 
Rilke, lettre à Marie de La Tour et Taxis


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