C m’attendait cachée derrière la
porte mais comme j’ai tardé à fermer la 4L elle n’a pu
s’empêcher de montrer son bout de nez.
«Tiens papa vlà un cadeau.
— Un cadeau pour
qui?
— C’est pour ta le cadeau.»
Après avoir dîné d’œufs à la coque nous descendons
tous les quatre à Enghien manger des grosses glaces. Poire belle Hélène pour
E, Sweet sweet Cristina plus Chantilly pour moi. Et deux grosses boules
d’un rouge rose, violacé, vif, à la fraise pour C. A goûte à tout.
Douceur du soir. Ah ces merveilleux soir de juin.
Discussion pénible dans l’appartement du cinquième
étage avec madame Bertin et cet agent immobilier qui est
somme toute un imbécile. Il l’appelle «Charmante». «Mais
dites-moi Charmante, etc.» Et moi je suis «Ami». «Qu’en pense-vous Ami?, etc.» Il cherche comme
tous ses confrères à faire croire que tout est réglé alors que rien ne l’est.
Ce matin une jeune étrangère – pas si
jeune, 25, 30 ans – me demande comment être servi par le garçon de café. Puis
elle me pose d’autres questions (toutes en anglais) sur les croissants, sur
la façon de payer ses consommations. Moi, gros rustre je reste le nez plongé dans mon livre (archéologie de Chypre) sans me rendre compte qu’elle cherche un moyen
d’entamer la conversation. Ce n’est que plus tard en marchant sur le trottoir
que je m’aperçois que je me suis fait «draguer». (Elle avait de magnifiques yeux bleus.)
Tournée pénible chez les éditeurs à qui il
faut rendre les livres sur l’opéra. Je me retrouve vers midi rue de
l’Échiquier puis rue des Petites-Écuries, puis rue du Château-d’Eau. Ça tombe bien. Mes cousins – tous deux là – me paient un jus de pamplemousse. Ça bavasse.
La journée aurait été bonne si, premièrement, je n’avais pas perdu le porte-clefs
chien en lego de E, si, deuxièmement, je n’avais pas rayé place
Saint-Sulpice la carrosserie de sa voiture, qui jusqu’à présent était
restée impeccable.
Je remercie Dieu pour m’avoir permis, m’avoir
fait don à 36 ans des deux plus belles filles du monde.
Je prie pour B qui […]
Retour à l’angoisse et l’exaltation.
Angoisse n’est pas le mot, ni désespoir ni
malheur. Je ne sais. Peut-être le poids du monde devant le malheur des êtres,
devant l’inertie de la matière (rien que le fait de me sentir en ce moment
trop gros), devant le «grandiose écroulement du
monde».
Exaltation: la terre est pourtant si
belle, et l’univers, et la musique des sphères! et le sentiment, la
conviction, intérieure, intime profonde de la présence toute proche du monde
spirituel […].
Cet amour si possible, si là, si présent,
et pourtant impossible, si difficile entre les êtres.
Je tourne toujours autour et j’y reviens
toujours, à cette phrase là qui résume la condition humaine qui fait notre malheur
et notre bonheur, qui fait notre impuissance, notre angoisse, notre désespoir et
notre ferveur, notre exaltation: «nous sommes ensemble mais pas
encore».