vendredi 27 juin 2014

Mercredi 27 juin 1984



C m’attendait cachée derrière la porte mais comme j’ai tardé à fermer la 4L elle n’a pu s’empêcher de montrer son bout de nez. 
«Tiens papa vlà un cadeau. 
— Un cadeau pour qui? 
— C’est pour ta le cadeau.»
Après avoir dîné d’œufs à la coque nous descendons tous les quatre à Enghien manger des grosses glaces. Poire belle Hélène pour E, Sweet sweet Cristina plus Chantilly pour moi. Et deux grosses boules d’un rouge rose, violacé, vif, à la fraise pour C. A goûte à tout. Douceur du soir. Ah ces merveilleux soir de juin.

Discussion pénible dans l’appartement du cinquième étage avec madame Bertin et cet agent immobilier qui est somme toute un imbécile. Il l’appelle «Charmante». «Mais dites-moi Charmante, etc.» Et moi je suis «Ami». «Qu’en pense-vous Ami?, etc.» Il cherche comme tous ses confrères à faire croire que tout est réglé alors que rien ne l’est.

Ce matin une jeune étrangère – pas si jeune, 25, 30 ans – me demande comment être servi par le garçon de café. Puis elle me pose d’autres questions (toutes en anglais) sur les croissants, sur la façon de payer ses consommations. Moi, gros rustre je reste le nez plongé dans mon livre (archéologie de Chypre) sans me rendre compte qu’elle cherche un moyen d’entamer la conversation. Ce n’est que plus tard en marchant sur le trottoir que je m’aperçois que je me suis fait «draguer». (Elle avait de magnifiques yeux bleus.)

Tournée pénible chez les éditeurs à qui il faut rendre les livres sur l’opéra. Je me retrouve vers midi rue de l’Échiquier puis rue des Petites-Écuries, puis rue du Château-d’Eau. Ça tombe bien. Mes cousins – tous deux là – me paient un jus de pamplemousse. Ça bavasse. La journée aurait été bonne si, premièrement, je n’avais pas perdu le porte-clefs chien en lego de E, si, deuxièmement, je n’avais pas rayé place Saint-Sulpice la carrosserie de sa voiture, qui jusqu’à présent était restée impeccable.

Je remercie Dieu pour m’avoir permis, m’avoir fait don à 36 ans des deux plus belles filles du monde.

Je prie pour B qui […]
Retour à l’angoisse et l’exaltation.

Angoisse n’est pas le mot, ni désespoir ni malheur. Je ne sais. Peut-être le poids du monde devant le malheur des êtres, devant l’inertie de la matière (rien que le fait de me sentir en ce moment trop gros), devant le «grandiose écroulement du monde».
Exaltation: la terre est pourtant si belle, et l’univers, et la musique des sphères! et le sentiment, la conviction, intérieure, intime profonde de la présence toute proche du monde spirituel […].
Cet amour si possible, si là, si présent, et pourtant impossible, si difficile entre les êtres.
Je tourne toujours autour et j’y reviens toujours, à cette phrase là qui résume la condition humaine qui fait notre malheur et notre bonheur, qui fait notre impuissance, notre angoisse, notre désespoir et notre ferveur, notre exaltation: «nous sommes ensemble mais pas encore».

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