Dans les brumes du sommeil. Je parle
beaucoup le matin peut-être parce que je ne suis pas encore connecté à
l’horrible vie quotidienne avec les autres, ils ne m’inhibent pas, ils ne me
polluent pas l’esprit en venant me rappeler leur existence, je suis encore sous
l’emprise des rêves où la vie de l’esprit est plus vagabonde.
Ce matin, à peine levé j’écris non pas ce
que je pense, ce que je cherche mais ce que je trouve sans chercher, ce qui est
là tout seul, comme si ce n’était pas de moi mais quelqu’un d’autre qui parlait
tout seul en moi:
«Goût des lèvres: on ne peut le
connaître c’est-à-dire l’apprécier avec justesse que par comparaison.»
«L’avenir appartient à ceux qui se
lèvent tôt, ceux qui se couchent tard ont le présent, ceux qui ont des
insomnies leur passé, quant à ceux qui dorment beaucoup, il leur reste toujours
la vie des rêves.»
«Allez, sois gentille, juste un peu, avant
qu’elles soient souillées par le café, les croissants, les cigarettes, les
poussières des chemins, le bruit, le brouillard des mots, avant qu’elles
appartiennent aux autres, qu’elles aillent vivre leur vie sociale, pendant
qu’elles ont encore leur pureté nocturne, qu’elles n’ont proféré aucune phrase
humaine, qu’elles n’ont été touchées par personne, laisse-moi goûter tes lèvres.»
Mais non seulement je parle mais encore je
suis à l’écoute:
Nouvelles du monde: un type tire sur les
automobiles qui passent sur le boulevard périphérique parisien; un banquier
est inculpé pour détournement de biens sociaux (qu’est-ce que c’est que cela,
des «biens sociaux», y en a-t-il d’autres?), il s’appelle comte de…; les
soldats algériens de la première guerre mondiale touchaient une solde quatre
fois moindre que les soldats français.
Et puis une heure plus tard, l’esprit est
brouillé par les ondes radioactives du monde, je n’ai plus qu’à me recoucher,
il n’y a plus rien à faire dans ce monde. À moins qu’on ne se recouche pas seul: où il reste encore quelques bricoles amusantes et agréables pour s’occuper,
n’est-ce pas? je ne vais pas te détailler ce que tu connais si bien: léchage,
suçage, production de variées humidités entre deux douches.
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