jeudi 31 janvier 2013

Poisson rouge


La voisine de ma mère et l'infirmière:
— Prenez votre médicament.
— Je n’en veux pas.
— C’est pour soigner vos douleurs.
— Je n’ai pas de douleurs.
— Vous n’avez pas de douleur parce que vous prenez votre médicament.
— Ah!

Plus tard :
— Brdgbrg… [elle bredouille je ne sais quoi].
— Pardon?
— Brdgbrg…
— Je ne comprends pas ce que vous me dites.
— Euh… eh bien je ne me rappelle plus de ce que je voulais vous dire.

Le vigile s’est encore cassé la gueule (mais c’est une autre histoire…).


(Vu I Vitteloni.)


Un blog à la con



C’est grâce à celui qui a proféré cette gentille remarque et bien sûr et surtout grâce à V qui en était la destinatrice, que ce blog est né — un an après car procrastination, doutes et esprit de l’escalier,

Et il a fallu aussi que les blogs se fatiguent,

Et que des liens s’effilochent, des lieux s’usent,

Non, Jean ne sait pas qu’il existe, ni mes enfants, ni d’autres. Je n’en parle pas. Déjà que je m’autocensure à cause de Matoo,

«J’ai cinquante et un ans, j'entends me démasquer» (Gide)

Entre le présent de la maison de retraite, le passé, le « moi, moi, moi », l’actualité que je refuse de commenter, les fines analyses littéraire ou cinématographiques que je ne sais pas faire, mes petites histoires que je n’ose divulguer,

Unzeitgemäß,

tag: Midas, 


(Lu en chemin de fer La Faim de Hoffman, Petites leçons sur le grec ancien.)



mardi 29 janvier 2013

Contingence, maintenance, intendance



Ma fille dégivre, astique le frigidaire, j’étends le linge et lance une nouvelle machine. Dans quelques mois, quand elle sera partie, je regretterai ces moments partagés.

«En admirable état pour le travail, la conversation... pour n'importe quoi. L'embêtant, c'est qu'on est en forme pour tout à la fois, ou pour rien. Ce matin, je cirerais les chaussures avec génie.»
Gide, Journal, 29 janvier 1902



Orphelines:






lundi 28 janvier 2013

Petite détresse


Les petites détresses ont lieu tous les jours.

« Je veux m’en aller.
— Où ça ?
— Chez moi.
— Mais vous êtes malade.
— Je ne suis pas malade.
— Vous ne pouvez pas marcher.
— Pourquoi je suis là?
— Vous êtes en fauteuil. [On ne dit pas fauteuil roulant, “fauteuil”, ça suffit à se faire comprendre.]
— Je n’ai rien fait de mal.
— Vous n’êtes pas en prison.
— Si. »


Embrouillamini



«C’est toujours sexuel. Tout. Partout. Tout le temps. Tout le monde. Tous ensemble.»
(Twitter?) 


«Par grâce, et partout, des âmes se ressemblent, se trouvent et s’assemblent.»
(Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Au diable la tiédeur) 


«Aux êtres il manque une amitié, pure et simple, quoi qu’ils en pensent, où les secrets s’échangent et se protègent, où la joie d’être ensemble est pour l’autre, où les esprits se touchent et s’engendre au détour d’un éclat de tendresse. »
(Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Au diable la tiédeur)


dimanche 27 janvier 2013

La vie est un songe



Je fais toujours de beaux rêves, du moins les rêves dont je me souviens sont toujours très agréables.
(Par exemple, à chaque fois que je rêve de mes aînées, il s’agit des retrouvailles. Mais c'est une autre histoire…)
On oublie la plupart de ses rêves dès le réveil. Et si l’on ne rêve pas toute la nuit (je ne sais pas), l’on rêve de longues heures. La vie des rêves est une bonne partie de nos vies. J’aime dormir parce que j’aime mes rêves.
Alors, si ma mère fait de beaux rêves, il lui reste une belle partie de vie. Ma mère n’est pas du genre à faire des cauchemars. («Qu’est-ce que tu en sais?» me susurre un démon intérieur.)
Nous passons la voir : une ou deux heures après notre passage elle a oublié que nous étions venus. Elle a vécu comme dans ses rêves de beaux instants qui se sont évanouis très vite. Elle perd ses heures de jour comme tous nous perdons nos rêves.


(Vu Rome ville ouverte, triste et beau.)

«J’ai mis ton doigt dans mon nombril»



«Ce blog est triste.»

Cohérence dans les histoires drôles. Je suis entré en pays de connaissance lorsque j'ai découvert sur internet en deux endroits proches, à peu près au même moment, deux histoires qui m’avaient fascinées autrefois. Michelle B était une championne des histoires drôles; des centaines qu’elle nous a racontées durant ces quelques années, je n’ai retenu que ces deux-là, moi qui ne me souviens jamais des histoires drôles.
Est-ce pour leur “large enseignement moral” qu’elles m'ont accompagnées toute ma vie?
Il y a celle de RC:

« J’ai déjà rapporté ailleurs cette histoire bête, j’en suis sûr. Mais comme souvent les histoires bêtes, malgré sa trivialité, elle est d’un large enseignement moral. 
C’est celle d’une vieille demoiselle qui va se plaindre de son voisin, à la police. Cet homme, en effet, chez lui, se promènerait dans le plus simple appareil, face aux fenêtres de notre amie. Un inspecteur est aussitôt dépêché sur les lieux. Il n'arrive pas à constater le délit.
« Mais je ne vois rien du tout, dit-il.
— Vous ne voyez rien du tout ? Comment ça, vous ne voyez rien du tout ? Montez donc un peu sur l’armoire, dit-elle : vous verrez si vous ne voyez rien du tout ! »

Et celle que je ne rapporte pas, que j’ai lue à la même époque, comme je disais, racontée par V, histoire trop bien connue : «J’ai mis mon doigt dans ton nombril, etc.»
(Je ne trouve pas le lien.)



Installation provisoire





(Vu hier soir Allemagne année zéro, mais c’est trop triste.)




vendredi 25 janvier 2013

Protections


Pendant que je batifolais dans ma « vie secrète » (mais je n'ai pas éprouvé de culpabilité), Maud a été acheté des pantalons pour maman. Nous connaissions sa taille. 
Mais ils sont trop étroits, il faut les échanger: nous avions oublié qu’elle portait des couches. 

(Vu ce soir Nous nous sommes tant aimés, mais c'est trop triste.)


mercredi 23 janvier 2013

Propagande



Je reçois chaque jour sur ma page facebook environ une trentaine de photos ou d’images d’homosexuels qui s’embrassent. Cela ne vient pas tant de mes “amis” pédés que de mes “amis” à la bonne conscience de gauche. (Ah ! la fierté d’être “audacieux”, « Regardez-moi, disent-ils, comme je suis libéré ! »)

(Je n'ai rien contre, simplement c'est comme si on vous montrait trente fois par jour une reproduction de la Joconde, vous vous en lasseriez.)
(Ils me rappellent les réalisateurs de FR3 qui éprouvaient le grand frisson de la transgression à filmer des seins nus dans les années quatre-vingt.)

Ils vont achever de m’éloigner de la gauche, et finir par me dégoûter des baisers.





mardi 22 janvier 2013

Petites bêtes et autres actualités


Certaines petites bêtes, les morpions, disparaissent
Reste la question des poils… mais c’est une autre histoire…

Dans la série bonnes nouvelles, encore d’autres bêtes qui disparaissent, et c’est tant mieux.

Il est désormais interdit d’écouter le discours de Martin Luther King : EMI Publishing a acheté les droits.

Pourquoi faut-il que les déclarations des hommes politiques français, les analyses des journalistes, les commentaires sur internet, en un mot la propagande pour défendre le mariage homo me donne l’irrépressible désir de me jeter dans les bras de Frigide Barjot?
Alors que mon assentiment est total lorsque j’entends Obama:
“Our journey is not complete until our gay brothers and sisters are treated like anyone else under the law…”

lundi 21 janvier 2013

«La Joie de vivre»


À chaque fois que je pense à elle je pense à ce titre de Zola, un de ses livres les plus terribles.
J'ai reçu ce matin ses vœux. Je les recopie intégralement:


« Patrick
Meilleurs vœux de santé et bonne année 2013 à partager avec les tiens.
Pas de progrès et des ennuis dentaire viennent s’ajouter pour Pierre.
Je suis de plus en plus fatiguée. Il faut continuer jusqu’au bout
Je t’embrasse
Françoise »


dimanche 20 janvier 2013

Je ne veux pas / Je veux


  
 «Et donc vous avez du mal à renoncer à ce dont vous ne voulez absolument pas et que vous ne pouvez obtenir ?
  — Exact! J’aime la façon que vous avez d’aller droit au cœur de mes contradictions.»
Irvin Yalom, Le Problème Spinoza, p. 401.


vendredi 18 janvier 2013

Les petites douleurs



Soirée pénible.
Elle se remue comme un vers dans son lit. Faut dire, la tête est si bien enfoncée dans l’oreiller que le traversin la cerne et que la pointe d’une taie lui chatouille le nez. J’enlève l’oreiller.
« Ça va mieux ?
— Oui. »
Une minute plus tard elle recommence à gigoter.
Elle s’est enfoncée et elle a les jambes repliées sur le côté.
Je me place derrière le lit et la soulève en passant mes bras sous ses aisselles.
Elle va mieux.
« Oui ? »
Une minute puis elle reglisse.
Ce lit a un mécanisme qui fait que l’on peut incliner une des deux parties. Aussi lorsque son corps est sur la partie inclinée elle glisse vers le fond du lit. Mais, si l’on n’incline pas l’une des parties, le traversin et l’oreiller ne suffisent pas à maintenir sa tête assez haute pour qu’elle puisse voir la télé ou manger son jambon purée.
Les aides-soignantes font ça très bien. Elles inclinent tout le lit vers l’arrière. Ma mère glisse toute seule, la tête en bas. Puis elles redressent le lit. Le tour est joué. Elle est installée dans une position moyenne, équilibrée, pour un temps, avant qu’elle ne glisse de nouveau vers l’avant.
Et ce soir elle a des courbatures ou de petites douleurs ou des crampes. Elle ne cesse de se tortiller.
La télévision, la météo, l’avenir de l’Eure-et-Loir et du monde, ce soir, elle n’en a rien à faire du tout.
Je suis désemparé.
Je dois partir. Je ne vais pas passer la nuit ici.
Je la redresse une dernière fois comme je peux. Je pars. Je fuis ?
Je le signale à une infirmière que je croise dans le couloir. 


mercredi 16 janvier 2013

Les dents


« Les dents sont dans la bouche » (Brisset).

Soirée très pénible. Maman mange. Quelque chose m’intrigue. Cela ne se passe pas normalement. Qu’est-ce qui est normal, me direz-vous ?
« Mes dents… mes dents… »
Elle ouvre une large bouche, me montre sa nourriture à moitié mâchée.
Elle n’a plus de dents.
Où sont les dents ?
Je cherche, dans le tiroir, dans l’armoire, dans le cabinet de toilette. Je ne trouve pas.
Elle mâchonne comme elle peut, du jambon haché et re-haché et des pois cassés (il y a souvent des pois cassés).
« Mes dents… »
Elle pleurniche. Je ne sais pas quoi faire.
Une aide-soignante arrive, elle va dans le cabinet de toilette et ramène immédiatement une boîte blanche qui ressemble à une boîte à savon. (Je me souviens. Chaque soir ma grand-mère, avant de s’endormir, immergeait son dentier dans un verre d’eau qui était prévu à cet effet sur sa table de nuit. Je n’étais pas dégoûté, je l’avais toujours vu faire cela. Un peu intrigué.)
L’aide-soignante lui tend les dents. Ma mère met ses dents toute seule, et reprend son repas.
Une minute plus tard, elle essaie de dire « mes dents » mais n’arrive pas à prononcer.
« Montre ! »
Elle ouvre une grande bouche, j’examine l’intérieur, je crois distinguer un amas de nourriture blanchâtre, je ne comprends pas.
Et si. Elle a avalé son jambon purée, mais son dentier trop large, qui n’est plus adapté, flotte, erre, circule, se balade dans la bouche.
L’aide-soignante revient :
« Fixodent ! On verra demain matin. »

Conversation entendue à l’accueil il y a plus d’un an :
« Votre épouse a été transférée à l’hôpital de Dreux.
— Je sais. Je vous dis que je sais. Je ne viens pas chercher ma femme. Je viens chercher ses dents. Elle a oublié ses dents. »



mardi 15 janvier 2013

Merde


Je m’adresse à madame Deuxpieds:
«Votre voisine de chambre ne parle pas beaucoup…
— Elle ne répète qu’un seul mot, tout le temps: merde, merde. [Je pense à Baudelaire : crénom.]
— C’est pas beaucoup…
— Mais elle est comme ça depuis longtemps, toute jeune déjà…»

Madame Deuxpieds rabâche un peu. Elle aussi répète:
«Chez nous c’était “Marche ou crève”.
— Oui, mais, ce n’est plus ça ici.
— Non. Ici, c’est “Marche”.
— Ici c’est mieux, vous êtes logée, au chaud, nourrie, choyée.
— Oui, oui, mais… qu’est-ce qu’on s’emmerde!»


lundi 14 janvier 2013

Dominos


Je m’adresse à ma mère :
«Qu’as-tu fait aujourd’hui?
— Rien.»
Chaque jour, chaque soir, même question, même réponse.
Je vais me renseigner auprès des aides-soignantes.

«Aujourd’hui, maman, il y a eu jeux de société.
— Ah !
— Mais tu n’as pas joué, tu n’as fait que regarder.
— Je ne me rappelle plus.
— Elles ont joué aux dominos. Tu n’as pas voulu jouer?»
Elle a alors une moue de mépris, un air supérieur. Elle me fait comprendre que les dominos ce n’est bon que pour les enfants de moins de quatre ans ou encore pour les personnes âgées déficientes, mais que, en ce qui la concerne, elle n’en est pas là, elle est au-dessus de ça.


dimanche 6 janvier 2013

Thérapies


Ma doctoresse, laquelle est une petite femme toute ronde et appétissante, à propos du toucher rectal :
«Je vous l’aurais bien fait mais je ne suis pas sûr de faire le bon diagnostic.»
Elle m’envoie à l’urologue. Je préfère.
Plus tard, s’inquiétant pour la santé de ma prostate:
«Allez voir une professionnelle.»

La semaine suivante, sur le même sujet, l’urologue:
«Masturbation. Une fois par semaine.»
J’ai  le mot pour rire:
«Vous me faites une ordonnance?»

Vieillir c’est ça.

Toujours est-il qu’au programme des prochains jours:
Demain, dermato: la peau! la peau!
Après-demain, analyse: l’urine! l’urine!
Semaine prochaine: encore le doigt dans le cul.

samedi 5 janvier 2013

Alain

Je suis élève d’élève d’Alain.
J'ai retenu deux citations que nous répétait M. Oriou, qui aura un billet un jour. 
M. Oriou, le seul professeur qui a compté pour moi.

Ces mots d’Alain ont-ils été écrits quelque part:
«celui qui à vingt ans n’est pas révolutionnaire, à trente ans n'aura plus assez d’énergie pour être capitaine de pompiers.»
Et celle-ci :
«Habillez-vous comme tout le monde et pensez comme personne.»



Mon oncle


Quand sa mère, ma grand-mère, mourut, il déclara, laconique : «Elle est crevée la salope.»

On le surnommait le monstre.

Quand il mourut, le curé d’Éguilles, qui était une bonne pâte, me dit qu’il y avait certainement du bon en lui et qu’il était sauvé.



Philadelphie, 1795


«Il avait retrouvé à Philadelphie un de ces anciens collègues à la Constituante, Moreau de Saint-Méry, qui y avait représenté la Martinique, le marquis de Blacons, Omer Talon, Louis de Boislandry, anciens députés eux aussi, le vicomte de Noailles, le duc de Larochefoucauld-Liancourt, Volney. C’était un groupe aimable, dont l’exil resserrait les liens, et que Talleyrand animait par sa gaieté et son esprit. On se réunissait chez Saint-Méry, qui avait ouvert une boutique de libraire, et l’on y buvait du madère, le vin favori de l’évêque. Celui-ci n’avait pas renoncé à ses fantaisies. On le vit un jour qui promenait, dans les rues de la ville, une négresse, et cela fit scandale.»  
Jacques Vivent 




vendredi 4 janvier 2013

Mes aînées

Les reverrai-je sur cette planète (en cette vie)?




Mon père

Ce dernier soir, je ne lui ai pas dit au revoir.




mercredi 2 janvier 2013

Dernier jour, premier jour


Maison de retraite. Avant le premier janvier.
Une histoire de fous. Mon frère est passé à la maison après sa visite à l’hôtel-Dieu, vers quatre heures et demie. Donc je sais qu’il est allé voir ma mère. À sept heures du soir, elle ne s’en souvient pas, et, honnête pour une fois, alors que je lui dis doucement «cherche bien dans ta tête», et qu’elle cherche, qu’elle cherche (elle fronce les sourcils), elle reconnaît qu’elle n’en garde pas la moindre trace dans le fond de sa mémoire.
En repartant je croise la dame aux tuyaux dans le nez qui m’apostrophe :
 «Hier on a joué à la belote avec votre mère, elle sait encore bien jouer.
— Oui, elle se rappelle les règles du jeu mais elle ne se rappelle plus qu’elle a joué.»
Je retourne illico dans sa chambre :
«Maman, tu as joué à la belote hier ?
— Non.
— Cherche bien dans ta tête, essaie de te rappeler… la voisine dit qu’elle a joué à la belote avec toi hier après-midi.
— Je ne me rappelle plus.»
Je croise une infirmière dans le couloir et l’interroge :
«Non, hier il n’y a pas eu de belote.»

Après le premier janvier.
«Tu n’as vu personne cette après-midi ?
— Non.
— Tu n’as rien fait cette après-midi ?
— Non.
— Maman, il y a eu une séance de cinéma, dans la grande salle du bas, tu as été au cinéma cette après-midi, tu as vu La Soupe aux choux.
— Je ne me rappelle pas.»
Mais peut-être a-t-elle dormi toute la séance ?
On voit qu’elle pense intensément. Elle creuse dans sa cervelle. Elle se penche vers moi et me chuchote à l’oreille: «Je veux mourir.»
Elle me regarde, désolée, elle a un air de chien triste. Elle s’excuse en silence de ce qu’elle vient de dire. Elle sait qu’elle me fait de la peine. Elle ne veut pas me faire de la peine. 

1969, elle avait 46 ans: