« On imagine l’emplacement sombre de cette ville un peu
comme une poubelle immense, en fer-blanc surchauffé, où des géraniums géants
aux pétales épais ainsi que des biftecks achevaient de se décomposer comme de
la viande. »
« Pas de fantaisie dans les pays où les mitrailleuses
font partie de l’ornementation des rues. Pas de fantaisie, mais de la
souplesse, et surtout ne pas oublier de rentrer le ventre en s’effaçant le long
des murs. »
« Rien ne donne du caractère à une cité comme l’usage de
la mitrailleuse. C’est précis, définitif et très pittoresque, instructif
également. »
« Il ne faut pas traiter le décor où se jouera un drame
social d’un militarisme embrouillé avec la négligence qu’on apporte en parlant
de l’automne, qui, en dehors des quelques souvenirs de Jules Laforgue,
n’encadre que les jeunes filles poitrinaires. »
« L’été paresseux et érotique exalte la grande passion
des chemineaux et rend craintives les fillettes légèrement vêtues. »
« Il connaissait tous les pièges que la littérature
combinée avec l’immoralité peut tendre aux hommes. »
« Chacun de nous, visitant des palais nationaux où toute
la fantaisie artistique d’un peuple s’est plu à distribuer les embellissements,
recherchera toujours le petit coin mystérieux où l’on retrouve sur la muraille
ou sur le tapis du plancher, la classique tache de sang. »
« Le badinage avec une adolescente souple est un
sport. »
« Ce sont les livres qui donnent à la vie son cours
normal. Ils s’imposent à nos actes, à nos gestes, à nos peines, à nos plaisirs.
Il est impossible de concevoir la vie sans les livres, elle se résorberait et
finirait pas disparaître. »
« La journée s’écoulerait bêtement et lentement, comme
une rivière sans poissons devant l’ombre d’un pêcheur à la ligne. »
« Il devenait de plus en plus difficile d’établir une
différence entre un homme intelligent et un imbécile. »
« Autrefois — elle se rappelait nettement la diversité
charmante qui embellissait la vie — avec un peu d’argent et une toute petite
personnalité un homme se distinguait d’un autre homme et l’échelle des nuances,
en allant de bas en haut ou de haut en bas, variait les rapports sociaux à
l’infini. »
« Il se tourna vers l’aimable silhouette de sa maîtresse
et la digestion, en lui mettant le sang aux oreilles, lui permit d’imaginer des
jeux amoureux, de quoi faire passer le temps, une heure, deux heures
peut-être. »
« Tirant derrière soi un petit tapis pelé, il
s’allongeait devant sa glace et, couché sur le dos, il s’efforçait de maigrir,
malgré la résistance de la graisse protestant contre ce traitement. »
« Il inscrivait sur un cahier d’écolier l’adresse de tous
les bordels du monde. Une indication de prix donnait à ce travail un semblant
d’utilité. … ce chef-d’œuvre ne fut pas appelé à disparaître : des mains
pieuses en avait grossoyé des copies. »
« Il est évident qu’il est inutile d’aller dans des
maisons où l’on se sent chez soi, autant ne point franchir le seuil de sa
propre porte. »
« “Si l’électricité devient une force intelligente et
naturellement rebelle, nous sommes fichus.” »
« “Je ne mettrai plus de jargon dans mes livres… Cette
langue vieillit trop vite et n’est praticable que pour ceux qui l’emploient
quotidiennement sans prétention littéraire. Ses formes éphémères se décomposent
le soir de leur naissance ; tel le parfum délicat d’une fleur au matin
s’achève immédiatement à la voirie dans l’odeur de la pourriture. »
« — il faut être pour quelque chose ou pour quelqu’un !
— Je suis, en ce moment, en ce moment seulement, je vous prie
de faire attention à cette nuance, je suis pour les choux bien pommés, le
pot-au-feu suspendu à la gribouille, la tarte chaude et le vin clairet…
— Vous êtes opportuniste alors ! »
« Vous devez sentir que nous nous trouvons en présence de
ces fantaisies historiques devant lesquelles les hommes les plus distingués
sont priés de ne point donner d’avis. La situation est ainsi parce qu’elle est
ainsi ; nous n’y pouvons rien l’un et l’autre. Il faut laisser la nature
agir ; dans quelques années l’eau troublée redeviendra calme et la vase
restera comme toujours au fond. »
« Prise en tranches minces la peur peut devenir une
volupté. »
« Autour de vous, d’appartements en appartements, de
paliers en paliers, des larves attendent la minute propice aux dénonciations et
aux meurtres. Les révolutions, examinées du point de vue purement individuel,
dépouillées de leurs orateurs et de leurs drapeaux jamais définitifs, ne sont
que le triomphe du commérage. Rien au monde ne peut vous défendre contre des
voisins que vous ne connaissez pas. »
« Ils visitaient les musées et regardaient dans tous les
coins, en ayant l’air d’étudier la meilleure place afin d’y mettre le
feu. »
« Entre les anciennes lois, maintenant abolies, et les
nouvelles élaborations un peu hâtives, les instincts de la foule maintenait la
tradition. »
« Toutes les filles du peuple sont mystérieuses en ce
moment… La révolution est ainsi que l’explosion d’un volcan abyssal : le
fond de la mer avec sa faune remonte à la surface. À cette heure, autour de
nous, des milliers de poissons sans yeux remontent à la surface et cherchent
désespérément leurs satisfactions quotidiennes. »
« Le partage des terres entre paysans du même village,
malgré les efforts des commissaires du peuple, les fêtes alternant avec des
exécutions capitales, les dénonciations calomnieuses et les tueries communales,
s’annonçait, de jour en jour, comme une tâche de plus en plus
décourageantes. »
« Il faut, si nous voulons demeurer vainqueurs,
dissimuler les forêts elles-mêmes sous des toiles largement illustrées
d’animaux décoratifs peints par nos artistes les plus résolus. »
Daniel Masclet: La Cavalière Elsa
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