samedi 16 novembre 2013

Lundi 16 novembre 2009




Ça pourrait s’appeler J’aime marcher la nuit, ou Loin, ou L’Aventure c’est plus de mon âge.
Ça a mal commencé à Montparnasse, mauvais présage, j’aurais dû me douter de la suite. Il ne faut pas manquer de décrypter certains signes qui ne trompent pas. J’ai manqué de discernement, ou d’ample vision, toute cette nuit. Et pourtant j’étais à l’heure, juste, pas à courir pour sauter dans le dernier wagon, pas à trop attendre sur un des bancs durs conçus pour que les clochards (et moi) ne s’y reposent pas. Malgré le petit vin rouge du Pot au feu je devais être froid (non pas avoir froid, être froid), il me fut impossible d’obtenir un billet sur les bornes Sncf où il faut effleurer – ou écraser rageusement, c’est selon – l’écran qui réagit à la chaleur humaine. Pas de billet, qu’à cela ne tienne, pas de scrupule non plus, je monte dans le dernier train pour Chartres, minuit vingt-cinq. De prime abord ce train me paraît bizarre: les banquettes ne sont pas les mêmes que d’habitude, il est plein de noirs. Je n’ai rien contre les noirs, je sais même que quelques-uns habitent Chartres, n’empêche, n’empêche, c’est louche. Ça m’a mis la puce à l’oreille, fausse puce, qui n’aurait jamais dû y être. Le conducteur du train annonce terminus La Verrière. Parce que les trains pour Chartres ne s’arrête jamais à La Verrière, l’inquiétude, la sourde inquiétude comme on dit dans les romans, commence à m’étreindre, et j’ai beau faire des efforts je n’arrive pas à poursuivre ma lecture, champêtre et printanière, de Maurice de Guérin. À Versailles Chantiers, dernière station avant la province, avant le désert, avant la nuit, avant l’inconnu, gare qui m’est un peu trop familière (mais c’est une autre histoire), je décide de voir de quoi exactement il en retourne en descendant sur le quai. L’on sait qu’à ces heures ultimes les conducteurs de trains sont pressés de rejoindre leur home, c’est humain. À peine ai-je mis le pied sur le territoire versaillais que la porte me claque au dos et que le train repart sans crier gare. À peine ai-je le temps de reprendre ma respiration qu’un quidam me laisse entendre que j’aurais mieux fait de rester dans ce train-là. Car un car était prévu au terminus, qui de La Verrière emmènerait tous les naufragés à Chartres. Bon. J’allume une cigarette. Un autre train est annoncé pour La Verrière. J’ose espérer, car à ce moment je n’ai pas abandonné tout espérance, rattraper grâce à ce train providentiel l’autocar qui, compte tenu de ma bonne étoile, attendrait mon arrivée avant de quitter la gare de La Verrière. Ce nouveau train que je prends est un omnibus, un tortillard, et l’on découvre de nuit la gare de Trappes, la gare de… j’ai oublié le nom des autres gares. On peut se consoler en se disant qu’il faut profiter de la moindre petite image captée dans la nuit parce que ces gares-là, jamais plus, plus jamais on ne s’y arrêtera. En gare de La Verrière, terminus, je suis attendu sur le quai pas une escouade de contrôleurs, dont une jeune et jolie contrôleuse en ravissant costume d’hôtesse de l’air. Il est à peu près une heure et quart, j’ai reçu il y a peu le sms de V. Elle n’est pas arrivée de bonne heure à Yerres elle non plus, elle aura flâné en route, ou alors elle aussi a dû manquer quelque correspondance. Tous ces employés Sncf sont d’une gentillesse désarmante, il compatissent à tour de rôle, ils en rajoutent, « mon pauv’ monsieur », ils en auraient les larmes, mais aucun ne me propose d’affréter un tgv, un taxi, un nouvel autocar, aux frais de la compagnie, ni par exemple de me loger sur un canapé dans un angle de leur salon près de la cheminée. Ils me recommandent de prendre l’autocar qui attend sur le parvis, qui n’est pas l’autocar providentiel dont j’ai parlé plus haut, qui n’est qu’un succédané d’autocar providentiel. Il va à Rambouillet, ça me rapprochera de Chartres, et au moins à Rambouillet il y a des hôtels, disent ces braves gens, ça ne mange pas de pain de dire ça, ça ne les engage pas trop, dans deux minutes ils m’auront oublié, dans trois minutes l’hôtesse de l’air aura oublié que j’ai jamais existé. Je monte dans le car avec trois pékins, car entre-temps un autre train était arrivé d’une incertaine banlieue. Nous partons. Le chauffeur est bougon, on longe la nationale 10 que je connais bien en prenant la contre-allée, nouveaux points de vue différents des points de vue connus par cœur sur Castorama, Cuir Center, Auchan, etc. Le car fait des détours à travers des embranchements et des ronds-points pour rejoindre chaque gare du parcours, où aucun voyageur ne descend, ni ne monte. Il s’arrête, se retourne, vérifie que les rares voyageurs ne font pas un geste, puis repart, nouveaux embranchements pour retrouver une parallèle à la nationale 10, etc. À deux heures nous sommes à Rambouillet. Par hasard il y a un guichet éclairé avec un homme derrière l’hygiaphone. Je lui demande un à quelle heure part le prochain train pour Chartres. Le problème a l’air compliqué à résoudre car il disparaît vers le fond de sa cabine, longuement, ou du moins le temps me paraît long, je doute qu’il revienne, enfin il revient, 7 heures moins le quart. Je lui demande alors s’il connaît un hôtel proche, et il me répond curieusement: « moi je suis pas d’ici vous savez, je suis de Bretagne ». Bon. Je pars vers le centre, je traverse toute la ville. Je ne suis pas complètement épuisé car j’envisage alors de rejoindre Gazeran, que j’atteindrai sûrement avant le lever du jour, histoire de se dérouiller les pattes plutôt que de rester assis sur un banc ou de faire trois fois le tour de ville (le parc du château est fermé). Toute chose est fermée. Dans mes pérégrinations je n’ai pas entr’aperçu un piéton, la seule voiture que j’ai vue était celle de la police. Mais la police n’est pas responsable des gens qui n’ont pas où dormir. Après avoir franchi les zones pavillonnaires, j’atteins les confins de la ville, j’atteins les prés, ou les bois, je ne sais je ne vois rien, je vois la route sombre, et des bas côtés herbus, bosselés humides. J’ai presque peur de cet inconnu noir, je ne me vois vraiment pas faire x kilomètres dans ces conditions d’autant qu’en fait, à bien réfléchir, je ne sais pas à combien de kilomètres est Gazeran. Alors, heureusement j’ai une bonne boussole intérieure, je bifurque vers la gauche, c’est-à-dire vers le sud (Gazeran est a l’ouest). A nouveau des zones pavillonnaires, des rues qui tournent si bien que je me retrouve après des centaines de mètres presque à l’endroit où j’étais dix minutes plus tôt; sauf que je suis au-delà d’un massif de buissons épineux, dans des résidences où tout dort, même les chats, pas un chat, même galeux, même de gouttière, même gris! où la plupart des ruelles sont des impasses, puis le long de stades de football, je ne sais plus si je suis sur le parking, au milieu d’une route, ou à l’intérieur du stade. Je deviens sourd mais pas tout à fait encore, peu à peu – mais elle me semble encore bien lointaine – j’entends la rumeur de la nationale 10. Une rue rectiligne avec trottoir, des enseignes éclairées. Comme dans le désert les mirages, j’imagine que c’est un hôtel (ouvert, charmant, pas cher), mais c’est un entrepôt de meubles, ou un spécialiste de vins du Roussillon avec des néons flashy verts, bleus, rouges. Ronds-points de plus en plus larges, que je ne veux pas traverser en ligne droite bien qu’il y ait aucune voiture parce que je sais que s’il y en a une ce sera celle d’un jeune fou aviné. Enfin j’arrive à l’immense parking de l’immense Carrefour. Je le traverse dans toute sa longueur, du nord au sud, puis ses pompes à essence, il doit y avoir caché dans sa cahute un gardien qui m’observe. Je ne fais rien de mal, rien à me reprocher, on a le droit de se promener la nuit! Après Carrefour McDonald’s, entreprise de peinture en gros, encore des meubles. Enfin, côte à côte, Etap Hôtel et Premiere Classe Hôtel. Il faut glisser sa carte bleue dans la fente prévue à cet effet, appuyer sur plusieurs boutons pour choisir tel jour telle chambre avant que l’appareil vous disent «Complet». Allons au Première Classe! Ah! celui-ci, ça va vite: l’appareil ne marche pas. Comment vendent-ils des chambres sans appareil? Je sais que dans la journée on y trouve des êtres de chair et d’os. Poursuivons… Pour atteindre le Noctuel, il faut s’engouffrer dans une ruelle en pente, étroite, bordée d’herbes, entre deux hauts hangars. Au Noctuel une pancarte sobre annonce «Complet». A côté il y a Ibis. Ça c’est une autre classe – je sais il y a beaucoup à dire sur la classe supposée –: c’est moins cheap. Fermé, mais il y a une sonnette sur le côté (rien à voir avec une autre sonnette d’un autre lieu). Je sonne et on répond. On me fait entrer, on m’accueille. On me dit qu’ils sont complets; on compatit, on accuse violemment la Sncf, ces fonctionnaires feignants, si bien que je me sens obligé de défendre la Sncf et cherche à leur expliquer que je suis un peu responsable moi aussi. J’étale si bien mes malheurs que l’homme (qui n’est pas d’ici, mais du Loir-et-Cher), me donne une chambre réservée (75 euros) vu qu’à trois heures il y avait peu de chance pour que le client pointe son nez. Néanmoins je ferme ma chambre à clef, on ne sait jamais, on n’est jamais trop prudent, s’il lui prenait l’idée de venir récupérer sa chambre; non sans penser à André Breton qui prétendait laisser sa porte de chambre toujours ouverte dès fois qu’une belle fille y entre. Je ne risque pas le coup de la belle fille. Un paragraphe de Guérin: la nature, les petits oiseaux, les nuages, console.
Et le lendemain matin il a fallu refaire le chemin inverse pour arriver à Chartres à neuf heures et demie.




1 commentaire:

  1. Et un sms le lendemain me disant que tu étais bien arrivé. J'ai cru que c'était l'opérateur qui faisait n'importe quoi.

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