dimanche 17 novembre 2013

Bazas



«Votre cathédrale est le témoin vivant de ce petit monde provincial disparu, plus cultivé, plus vraiment civilisé que le nôtre, s’il n’était pas meilleur. Ô ! non. il n’était pas meilleur. La férocité humaine, cela seul ne change pas. Votre cathédrale vous dira, peut-être, tout ce qu’elle a souffert de la part des hommes au cours des siècles : Dieu sait si elle a été insultée, mutilée. Mais peut-être vous dira-t-elle qu’aux pires injures des hommes et du temps, elle a survécu, comme elle survit, comme elle survivra à notre abandon. Ce qu’elle va vous raconter ce soir, elle continuera de le raconter aux étoiles, si jamais les derniers Bazadais l’abandonnaient, si elle demeurait seule à rêver au-dessus des maisons mortes.
» Mais cela n’arrivera pas. Et même, il me plaît d’imaginer qu’un jour viendra, où les hommes mourront de tristesse dans les alvéoles de béton des grandes villes où ils s’entassent aujourd’hui, où ils n’en pourront plus de respirer les relents de mazout, d’être assourdis par des moteurs qui auront envahi peu à peu, non seulement tous les chemins de la terre, mais toutes les routes du ciel. Alors, ils se souviendront des maisons abandonnées autour de la cathédrale éternellement vivante. Ce sera le retour des enfants prodigues, et les vieilles provinces ressusciteront. La cathédrale de Bazas attendra cette heure sans impatience, car un siècle est pour elle comme un jour. Mais la fête de ce soir lui donne l’avant-goût de la joie qui fera tressaillir ses vieilles pierres, quand le temps sera venu du grand retour, et que, chassés des banlieues empestées, tous ses enfants embraqueront de nouveau sur l’antique vaisseau ancré depuis tant de siècles dans les douces collines du Bazadais.»

(François Mauriac, texte dactylographié par madame Mauriac, enregistré à Bazas le 16 septembre 1960 pour être diffusé le 18 au soir [son et lumière].  Il faut imaginer la voix de Mauriac, diffusée par haut-parleurs au-dessus de la grand-place.)

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