Je croise la voisine de ma mère à la dérive, accrochée à
son déambulateur dans le couloir, à vingt mètres de la chambre. Et l’autre,
celle qui nous montre ses cuisses jusqu’au ventre, veut que je la couche. «Non,
je ne peux pas, je ne suis pas infirmier.» Je me sauve. J’appelle l’ascenseur. La
voisine geint au loin. Je fais demi-tour. J’ai honte. Il faut. Je vais chercher
un fauteuil roulant dans un placard (je commence à connaître les lieux). Je le place
derrière la voisine et elle s’y affaisse comme un sac. Elle a fait dans sa
couche, et quand elle s’assoit l’odeur est libérée, je suis derrière et je la
reçois en pleine poire, insupportable. Je la supporte. Je roule vite, je stationne la voisine sans ménagement dans la chambre devant la télévision. Je croise de nouveau celle qui nous montre ses cuisses au milieu du couloir. (Le vigile a suivi tout ça
hilare. Il a un énorme pansement à moitié décollé sur le front. Non je ne vais
pas le lui recoller.) Je prends l’ascenseur. Quelques larmes, plutôt de rage,
en arrivant dans la froideur de la nuit. Non, je n’ai pas fait cela avec
douceur et bienveillance. Comment faisait-elle mère Teresa?
En rentrant je raconte à ma fille qui est en train de
faire la cuisine.
«Pourquoi tu me racontes ça ?
— Ça me soulage.
— Tas pas plutôt un ami à qui téléphoner ?
— Non.»
Ce qui te manque pour ressembler à mère Teresa, je pense, c'est le drap blanc à liseré bleu.
RépondreSupprimerQu’y avait-il dans sa tête quand elle agissait? Faire le bien sans bonté au fond de l’âme? J'aurai beau me déguiser d'un drap blanc à liséré bleu. «Je ne peux pas, je ne peux pas.»
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