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mardi 24 décembre 2013

L’âne était petit



L’âne était petit et plein de pluie et tirait
la charrette qui avait passé la forêt.
La femme, sa petite fille, et le pauvre âne
faisaient leur devoir doux, puisque dans le village
ils vendaient pour le feu le bois des fruits de pin.
La femme et la petite fille auront du pain
qu’elles mangeront dans leur cuisine, ce soir,
près du feu que la chandelle rendra plus noir.
Voici Noël. Elles ont des figures douces
comme la pluie grise qui tombe sur la mousse.
L’âne doit être le même âne qu’à la crèche
qui regardait Jésus dans la nuit noire et fraîche :
car rien ne change et s’il n’y a pas d’étoile,
cette nuit, qui mène à Jésus les mages vieux,
c’est que cette comète au tremblement d’eau bleue
pleure la pluie. C’était aussi simple autrefois,
quand les anges chantaient dans la paille du toit ;
sans doute que les étoiles étaient des cierges
comme ceux qu’il y a aujourd’hui près des vierges
et, sans doute, comme aujourd’hui les gens sans or,
que Jésus, sa mère et Joseph étaient des pauvres.
Il y a cependant nous autres qui changeons
si rien ne change. — Et ceux qu’aime bien le bon Dieu,
comme autrefois aussi sous l’étoile d’eau bleue,
c’est les ânes très doux aux oreilles bougeantes,
avec leurs jambes minces, roides et tremblantes,
et les paysannes douces et naïves du matin
qui vendent pour le feu le bois des fruits du pin.
Francis Jammes


dimanche 31 mars 2013

Le plus beau jour


«Demain fera un an qu’à Audaux je cueillais
les fleurs dont j’ai parlé, de la prairie mouillée.
C’est aujourd’hui le plus beau jour des jours de Pâques.
Je me suis enfoncé dans l’azur des campagnes,
à travers bois, à travers prés, à travers champs. 

Comment, mon cœur, n’es-tu pas mort depuis un an? 

Mon cœur, je t’ai donné encore ce calvaire
de revoir ce village où j’avais tant souffert, 

ces roses qui saignaient devant le presbytère, 

ces lilas qui me tuent dans les tristes parterres. 

Je me suis souvenu de ma détresse ancienne,
et je ne sais comment je ne suis pas tombé
sur l’ocre du sentier, le front dans la poussière.
Plus rien. Je n’ai plus rien, plus rien qui me soutienne.
Pourquoi fait-il si beau et pourquoi suis-je né?
J’aurais voulu poser sur vos calmes genoux 

la fatigue qui rompt mon âme qui se couche 

ainsi qu’une pauvresse au fossé de la route. 

Dormir. Pouvoir dormir. Dormir à tout jamais
sous les averses bleues, sous les tonnerres frais. 

Ne plus sentir. Ne plus savoir votre existence.
Ne plus voir cet azur engloutir ces coteaux 

dans ce vertige bleu qui mêle l’air à l’eau, 

ni ce vide où je cherche en vain votre présence.
Il me semble sentir pleurer au fond de moi,
d’un lourd sanglot muet, quelqu’un qui n’est pas là.
J’écris. Et la campagne est sonore de joie.
On entend les clochers qui appellent aux vêpres
et les grillons chanter l’heureuse paix champêtre.
On voit à l’intérieur pâle des métairies
les chapeaux de travail dormir près des tamis.

… Elle était descendue au bas de la prairie,
et comme la prairie était toute fleurie…»

Francis Jammes