jeudi 29 janvier 2015

Quel homme étrange



Pour s’y retrouver:
Ramsgard = Sherborne
Blacksod : Yeovil





Pour s’y retrouver, les quatre grands romans :
Wolf Solent  (1929)
Glastonbury Romance (1933) ;
Weymouth Sands (1934) ;
Maiden Castle  (1936).
Et l’autobiographie est de 34.

Ci-dessous, extraits de Wolf Solent.

«Alors, tandis que les brumes à l’odeur d’herbe se faisaient plus fraîches contre son visage, montant des prairies silencieuses de Blackmore vers les champs labourés, l’antique serpent de la luxure releva de nouveau la tête dans cette vaste nuit.» (144).

«Son visage n’avait rien de remarquable, le format et l’aspect de son livre révélaient qu’il s’agissait d’un roman modeste, mais, en regardant cette femme assise là, dans cette pièce médiocre, à minuit, une indescriptible impression du drame de la vie pénétra Wolf. Dans toutes les directions, sur des lieues et des lieues, de vastes pâtures s’étendaient, silencieuses dans leur sérénité ouatée et trempée de rosée. Mais là, près de ces deux flammes pointues, une conscience isolée conservait le vieil intérêt familier pour l’amour, la naissance, la mort, tous les hasards imprévus des événements humains. Cette simple figure pâle avec ses lunettes devint pour lui, à ce moment, un petit îlot de chaude conscience humaine au milieu de l’inhumanité de l’immense nuit.» (183).

«Ici c’étaient des commerçants de Ramsgard, cossus et satisfaits, avec leurs femmes et leurs filles, là des rouliers burinés de Blackmore, des fabricants de cidre et des maquignons de Sedgemoor, de robuste et mélancoliques bergers des hautes terres des Quantocks, une poignée de riches fermiers de la lointaine vallée de la Frome, des laitiers malins des opulents pâturages de la Stour, et, circulant parmi eux, avec leur pas lourd et leur voix lente, et aussi leur goût prononcé pour la plaisanterie, les journaliers du cru, qui travaillaient la terre grasse des champs arrosés par la Lunt.» (190).

«Quand cette orgie d’émotion mystique se dissipa, ce qu’elle ne tarda pas à faire, le laissant aussi vide et détendu que s’il avait marché non des minutes mais des heures, il s’aperçut qu’il y avait encore deux problèmes irritants qui lui tourmentaient l’esprit, semblables à des méduses restées à sec après la marée sur un banc de galets.» (212).

«“Les jeunes et les vieux, c’est tout pareil pour le beau sexe, hein! Mr. Solent? Les domestiques savent peut-être mieux ça que les maîtres. Pauvre ou riche, il n’en est pas une qui n’ait souhaité coucher ailleurs que dans le lit de son mari, pas vrai?”» (353).

«“Il y a autre chose dans le monde que coucher avec les gens. Ça n’a même rien d’extraordinaire. J’aurais cru qu’un poète savait ces choses-là, et je suis étonné de vous voir attribuer tant d’importance à ces incidents matériels.”» (355).

«Il souffrait, simplement, et cette souffrance était quelque chose de tellement nouveau pour lui que ses forces de raisonnement se trouvaient prises au dépourvu. Il était comme un homme qui aurait passé toute sa vie à chasser le léopard et qui se retrouverait, tout d’un coup, chargé par un rhinocéros!» (368).

«“C’est la faiblesse de ton caractère, se disait-il. Ta veulerie et ta crédulité !”. Il se souvint alors de l’accès d’énergie soudaine qui l’avait fait soulever le loquet de la grille ; et il compara cet éclair d’inspiration avec sa prostration présente. Ne se connaissait-il donc pas lui-même ? Ce qu’il ressentait, à présent, était une complète désintégration de tout désir et de toute volonté. Il lui semblait que sa conscience n’était qu’une toute petite flamme vacillante, non, pas même une flamme, une vapeur à peine visible, flottant au-dessus d’un chaos de désirs, d’intentions, d’aspirations, d’espoirs et de regrets contradictoires, désorganisés au point de s’annihiler mutuellement. Ils lui semblèrent bien lointain aussi, ces sentiments qui auraient dû être les siens, lointains et infiniment méprisables ! Le seul désir que cette conscience faible et flottante conservât était celui de leur échapper totalement. Car, tout désorganisés qu’il fussent, il émanait d’eux une vague nausée paralysante qu perturbait la conscience faible et libre de Wolf, comme un corps en putréfaction aurait pu perturber quelque frêle animula vagula sur le point de lui échapper.» (375).

«Les trois mois d’automne qui suivirent la fête de l’école furent pour Wolf, à mesure que les jours devenaient plus courts et plus sombres, comme une lente marée montante, puisant la masse de ses eaux à des distances et à des profondeurs hors de son atteinte et menaçant de submerger presque entièrement le front rocheux et tourmenté qu’il avait jusque-là dressé en face de l’univers. Quelque chose dans la chute des feuilles, dans la lente dissolution de la végétation autour de lui, rendait plus mortelle cette menace à l’intégrité de son âme. Il n’avait jamais compris le sens du mot «automne» jusqu’à la venue de cette arrière-saison du Wessex qui accumulait ses «trophées de nuages» sur son chemin et pénétrait avec ses senteurs âcres et douces jusqu’aux profondeurs cachés de son être. Toutes les calamités qui survinrent pendant cette fin d’année semblaient avoir fermenté dans une cuve vaseuse de végétation, comme si les chemins bourbeux et les taillis de noisetiers — et la terre même du Dorset — étaient de connivence avec les circonstances humaines.» (417)

«“Il est absolument impossible, se disait-il, de parler à une femme d’une autre femme sans trahir l’absente. Il leur faut du sang. Chaque mot qu’on prononce doit être une trahison, sinon elles ne sont pas satisfaites.”» (421)

«Il leva les yeux des chaumes mouillés et parcourut du regard le panorama verdoyant de la grande vallée. Alors il fut envahi d’un immense dégoût pour les indécences furtives de la vie humaine et animale sur la terre. “Ce serait beaucoup mieux, pensait-il, si toues les hommes et toutes les bêtes disparaissaient et s’il ne restait que les poissons et les oiseaux! Que ce serait beau si tout ce qui copule, tout ce qui porte ses petits, était balayé de la surface du globe dans quelque grande catastrophe, ne laissant que ce qui a des plumes et des nageoires”» (442)

«Il se mit à arpenter le champ de long en large d’un pas plus ferme. Il marchait dans un sens puis dans l’autre, et le soleil, presque à l’horizon, donnait à la surface du champ une apparence surnaturelle. Des pétales de boutons-d’or s’accrochaient à ses jambes, à sa canne ; leur pollen couvrait ses souliers. Cette opulence dorée qui l’entourait envahit son esprit d’étranges et lointaines associations d’idées. Les ornements d’or, tissu sur tissu, feuille sur feuille, qui recouvraient les morts dans le tombeau d’Agamemnon, les pilastres d’or des palais d’Alcinoüs, la pluie d’or qui ravit Danaé, la Toison d’or qui perdit Jason, le nuage d’or dans lequel l’infortuné Titan étreignit Héra, la flamme d’or dans laquelle Zeus enlaça Sémélé, les pommes d’or des Hespérides, les sables d’or des Îles bénies, toutes ces choses, non sous leurs apparences concrètes mais dans leur essence platonique, faisaient chanceler son esprit. Cela devenait un symbole, un mystère, une initiation. C’était comme cette figure de l’Absolu dans l’Apocalypse. Cela devenait une “super-substance”, de la lumière précipitée et pétrifiée, le cœur magnétique du monde rendu visible.» (650).







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