jeudi 7 août 2014

Mardi 7 août 2012


Depuis que sa voisine est morte maman n’aime plus trop sa chambre, elle passe beaucoup plus de temps dans la salle commune. Nous n’en avons pas parlé, je n’ose pas ou je ne sais pas comment dire certaines choses, cela a été souvent l’un de mes pires défauts, qui m’a causé de grands torts dans ma vie, et qui continue peut-être, et qui continue sans doute, quoique je me sois un peu amélioré, un petit peu seulement. 
Maman prend ses repas du soir dans cette salle avec les autres. 
D’une part l’atmosphère y est plus vivante, il y a du mouvement, des bruits, parfois des rires, d’autant que sa nouvelle voisine de chambre n’est pas très gaie.
Mais d’autre part il y a toutes les autres qui sont autant de miroir terribles («c’est donc cela que je suis devenue!»), et qui nous rendent nous les visiteurs aussi cafardeux qu’on puisse l’être. Si je ne vois pas toujours ma mère comme elle est, si le plus souvent je la vois telle qu’elle était sur cette photo d’il y a vingt-cinq ans que je viens de scanner, les visages, les corps, les gestes, les discours des autres, dans cette salle, sont là pour me rappeler la réalité d’aujourd’hui. 
Statistiques imparfaites: j’ai compté l’autre soir cinq hommes et treize femmes, les hommes étant beaucoup plus silencieux et immobiles que les femmes.
Une d’entre elles, une des rares qui marche, qui ne soit pas en fauteuil roulant, débarrasse les tables. Je lui dis en plaisantant qu’on va l’embaucher, elle me répond qu’elle fait cela pour avoir son tilleul du soir.
«Les autres n’ont pas droit au tilleul?
— Si mais comme ça on me sert en premier.»
La même, comme je lui dis «à demain», me répond «à deux pieds». Ce n’est pas d’un humour formidable mais rien que ce petit jeu de mot infime met un peu de baume au cœur. 
J’ai appris que maman avait fait de la gym douce comme les autres, c’est-à-dire qu’elle a lancé doucement un ballon. J’ai du mal à imaginer… à travers la pièce?
Puis, ainsi cela se passe depuis le début du mois d’août, je la remmène dans sa chambre. Et des larmes silencieuses coulent sur son visage avant que je parte.
 

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