samedi 12 avril 2014

Jeudi 12 avril 2007



Départ à midi cinquante. On longe la Seine par le quai du Nymphée, dont on aperçoit le faite au-dessus du vieux mur de soutien. Après le barrage c’est un chemin à l’écart de tout moteur qui nous mène jusqu’au centre de Carrière, belle villa tapie dans la verdure, derrière la côte malheureusement souvent recouverte d’immeubles de résidences banals, au-delà de la rive l’île dite Fleurie qui s’est fortement humanisée depuis les années soixante-dix où logeait la vieille clocharde dont X a fait une nouvelle (était-ce elle?) parmi les gravats et les ronces. Aujourd’hui il y a un stade, une route encombrée, des bas-côtés où les voitures stationnent, des équipements sportifs; et dans le même temps la nature si elle a été domestiquée est beaucoup plus agréable. À Carrière me plaît l’amphithéâtre formé par les maisons du bourg comme bâties sur d’anciennes murailles, à moins qu’elles le soient vraiment, qui encercle le jardin public où jouent les enfants, se promènent les nourrices avec les rejetons en poussettes, le jardin plein le dimanche. Un peu plus loin, là où la route qui longeait la Seine s’en sépare de nouveau, une sorte de café qui doit être bien misérable mais qui à vue de nez donne l’impression d’une guinguette. Il y a foule le dimanche après-midi, d’autant qu’il est en face du terrain de boule municipal, mais en semaine ce sont surtout quelques camionneurs et de nombreux représentants qui s’y arrêtent (on a envie d’imaginer quelques filles qui attendent au premier étage, ou qui sont prêtes à se glisser dans les camions). Ensuite le chemin de halage n’est plus aménagé, ce sont des débris de tuiles, des bouts de pierres concassées qui comblent les ornières. Le paysage de l’île en face devient terne, derrière on voit toutes proches les tours de Nanterre (j’ai fort bien connu ces lieux, au temps où il y avait les usines à gaz qui entouraient le stade de l’USN (Union sportive de Nanterre), c’est à peu près à cet endroit que Faustin eut l’incivilité (comme on dit aujourd’hui, mais à l’époque on n’y pensait guère) de jeter dans la Seine sa vieille gazinière qui ne sombra pas. Lui et son frère la suivirent des yeux avec quelque crainte, qui partait à la dérive vers Rouen, la Manche, l’océan qui sait? À ma gauche s’étendent les champs, les serres, campagne toute proche de Paris, une des plus proches, campagne résiduelle, mal tenue, chemin de mauvaises herbes et de caillasses, sacs plastiques, gravats, mottes de terre, petits champs bordés d’une route étroite mal entretenue, bombée, raccommodée à la va vite par quelques lambeaux de goudrons, où les voitures circulent trop vite (un peu plus loin lorsque j’ai dû abandonner les berges où l’on ne passe plus, j’y croise deux policiers munis de ces jumelles qui mesurent la vitesse. Ils me disent bonjour avec un ton rogue et inexpressifs. Est-ce cela qu’on leur apprend afin qu’ils se fassent respecter? Alors les responsables de cet enseignement se fourvoient complètement. Ce n’est pas parce qu’on dit «bonjour» qu’on est poli, c’est le ton que l’on prend pour s’adresser à l’être humain que l’on a en face qui dénote l’affabilité. Et c’est en étant affable que les flics se rendront moins impopulaires.  Deux ponts neufs se succèdent, celui de l’autoroute numéro 14, puis celui du récent (récent pour moi) rer qui va jusqu’à Cergy. Deux colossales masses de béton où résonnent mes pas et le bruit des roues des véhicules au-dessus quand ils franchissent une de ces bandes qui relient deux des blocs de ciment dont est construit la route, ou le son caractéristique des roues du train quand ils passe le mince espace entre deux rails (je crois que ces intervalles sont indispensables à cause de la dilatation de ces rails qui s’étirent plus ou moins selon la température). Sous un des ponts un âne, attaché à un pieu, plus triste encore qu’un âne ordinaire. Je crois qu’il a été posé là par les gitans qui se sont installés le long de la route un peu plus loin. La route que je suis est à environ cinq cent mètres, de l’autre côté il y a cette rangée de pavillons de banlieue, laids bien alignés qui regardent tous les champs, le fleuve, l’au-delà du fleuve. Ces pavillons, ces champs, ces géographie triste m’ont fasciné depuis toujours. C’est très laid, mais il y a un aspect circonscrit, littéraire. Ces pavillons regardent depuis toujours ces bandes de terre, le fleuve, la grande ville au loin, avec un regard désespéré. Un coureur m’indique que le chemin se dégrade encore, puis un homme qui mange un casse-croûte assis au bord du fleuve, que je prends d’abord pour un clochard, mais il a couché son vélo sur la berge à côté de lui, me dit que plus loin on ne passe plus. 


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