lundi 31 mars 2014

Samedi 31 mars 2007




Sur internet nous nous sommes amusé à répondre à un questionnaire qui tel le tirage de cartes ou la boule de cristal allait nous révéler notre caractère ou, si l'on veut, notre réelle personnalité. Voilà le résultat:

«Le tendre
On vous trouve adorable, charmant ou... capricieux. Vous êtes un être de contrastes. Très sensible parce que gouverné par vos sentiments, vulnérable parce que réagissant vivement aux impulsions sensuelles, vous êtes réceptif aux ambiances. Vous vous montrez très sélectif dans vos affections parce que vos rapports sont basés sur l'harmonie. Vous avez besoin d'être en affinité avec ceux qui vous entourent. Aussi n'avez-vous qu'un cercle restreint d'amis, tout en étant très populaire dans tous les milieux sociaux, grâce à votre souplesse d'adaptation. En raison de votre grande réceptivité, votre humeur suit le rythme de votre affectivité. Elle est donc changeante. Un rien vous blesse et provoque un renversement de situation. A des promesses enthousiastes, des démonstrations d'affection, succèdent la froideur et la plus grande indifférence. Vous êtes alors capable de la rancune la plus tenace et d'attendre le temps qu'il faut pour vous venger de la blessure qu'on a osé vous infliger. Car, vous avez une bonne dose d'orgueil qui se manifeste en susceptibilité. On ne peut donc se fier à votre tendance instinctive à la conciliation. Dans la vie quotidienne, vous faites preuve de patience et de persévérance. Vous avez le don d'œuvrer en vue d'un but lointain, même incertain. Mais... attention, si votre affectivité est en jeu, vous pouvez tout lâcher d'un coup ! Cet entêtement vous met d'ailleurs dans des situations ambiguës dont vous ne savez comment vous sortir, votre amour-propre vous interdisant le premier pas ou de revenir en arrière.
Sur le plan sentimental, apparemment sensible et délicat, vous donnez l'impression d'avoir un grand besoin de tendresse, de douceur et de chaleur affective. En effet , il est impératif pour vous d'être apprécié, approuvé et aimé. Romanesque mais réaliste, vous réclamez des preuves tangibles de l'amour que l'on dit vous porter. Vos attachements sont stables lorsque vous y trouvez les satisfactions.
Sur le plan professionnel, vous êtes intéressé par une profession où votre mémoire peut vous être utile. Très curieux de choses nouvelles, de pays inconnus, de personnes avec lesquelles vous n'avez pas encore eu de relations, vous possédez une grande faculté d'assimilation. Vous pourriez entreprendre et réaliser de grandes choses si vous surmontiez votre nonchalance. Mais, vous n'allez pas au fond des sujets que votre curiosité vous incite à aborder. Vous préférez donc un emploi tranquille ou subalterne dans une ambiance agréable et sympathique. Là s'arrête votre ambition.»



dimanche 30 mars 2014

Samedi 30 mars 2007



Robert Byron est vraiment un écrivain pour moi:

«Même les gens les plus âgés semblaient avoir perdu jusqu’au souvenir de leur Créateur» [Russie soviétique].

«J’éprouvais un bref sentiment  de frustration: l’Himalaya se devait, dans mon esprit, d’offrir autre chose  que les Alpes. Et aussitôt apparut ce violent, ce strident bleu de Prusse, ennemi de toute forme et de toute couleur dans un paysage, ce bleu que nos grands-mères se plaisaient à pointiller au pinceau depuis leurs hôtels suisses et qui explique pourquoi la race allemande n'a jamais produit aucun peintre et n'en produira jamais, et pourquoi il y a tant de lassants interludes dans la musique de Wagner» [les lointains bleutés et les Allemands].

«Derrière lui [le Chomolhari] un massif secondaire, ligne déchiquetée d'un blanc immaculé, s'allongeait vers le nord, abritant dans ses anfractuosités de gros nuages gonflés et étincelants. Il n'existe pas de nuages qui puissent se comparer à ceux-ci. S'ils ont la forme de ceux qui peuplent les paysages chinois, la lumière dansante, l'essence même de la lumière, ni argent ni or mais pure lumière, emplit leur ventre et leurs entrailles d'ombres aiguës, tridimensionnelles, de sorte que leurs corps blancs protubérants deviennent tangibles: il suffirait de les atteindre pour les saisir, les jeter en l'air. Une couleur rose les pénètre: complément du ciel, du ciel d'un outremer oppressant, sombre comme le creux des vagues, aussi proche  que les visions mouchetées qui fulgurent sous les paupières – ce rose dont le ton se retrouve sur la neige et sur l'ensemble du pays, un rose emphatique d'une proximité surnaturelle» [les nuages tibétains].

Tout me plaît en cet homme, et lorsque ses idées ou opinions ne sont pas les miennes, j'abandonne aussitôt les miennes pour les siennes, fût-ce des opinions de quarante ans (les lointains bleutés).



samedi 29 mars 2014

Jeudi 29 mars 2001



« Fusillez les saboteurs », pétition signée notamment par Pasternak.


vendredi 28 mars 2014

Mercredi 28 mars 2001



Phrases : Le vicomte, en victoria, fêtait sa victoire, sans les victimes ! Vicieux, le vicaire vibrionnait autour de son vibromasseur.


jeudi 27 mars 2014

Autres citations tirées du Meilleur des mondes



Car il faut se souvenir qu’en ces jours de grossière reproduction vivipare, les enfants étaient toujours élevés par leurs parents…

***

Mais une fois que l’on commence à admettre des explications d’ordre finaliste, hé quoi, on ne sait pas où cela peut conduire. C’est le genre d’idée qui pourrait facilement déconditionner les esprits les moins solidement arrêtés parmi les castes supérieures, qui pourrait leur faire perdre la foi dans le bonheur comme Souverain Bien, et leur faire croire, à la place, que le but est quelque part au-delà, quelque part hors de la sphère humaine présente; que le but de la vie n’est pas le maintien du bien-être, mais quelque renforcement, quelque raffinement de la conscience, quelque accroissement de savoir… Chose qui, songea l’Administrateur, peut fort bien être vraie, mais est inadmissible dans les circonstances présentes.

***

Des mères et des pères, des frères et des sœurs. Mais il y avait aussi des maris, des épouses, des amants. Il y avait aussi la monogamie et les sentiments romanesques. […]
La famille, la monogamie, le romanesque. Partout le sentiment de l’exclusif, partout la concentration de l’intérêt sur un seul sujet, une étroite canalisation des impulsions et de l’énergie. — Alors que chacun appartient à tous les autres […]
Les étudiants acquiescèrent d’un signe de tête, marquant vigoureusement leur accord sur une affirmation que plus de soixante-deux mille répétitions leur avaient fait accepter.

***

L’histoire, répéta-t-il lentement, c’est de la blague.
Il brandit la main; et l’on eût dit que, d’un coup d’un invisible plumeau, il avait chassé un peu de poussière, et la poussière, c’était Harappa, c’était Ur en Chaldée; quelques toiles d’araignée, qui étaient Thèbes et Babylone, Cnossos et Mycènes. Un coup de plumeau, un autre, — et où était donc Ulysse, où était Job, où étaient Jupiter et Gautama, et Jésus? Un coup de plumeau, — et ses taches de boue antique qu’on appelait Athènes et Rome, Jérusalem  et l’Empire du Milieu, toutes avaient disparu. Un coup de plumeau, — l’endroit où avait été l’Italie était vide. Un coup de plumeau, — enfuies, les cathédrales; un coup de plumeau, un autre, — anéantis, le Roi Lear et les Pensées de Pascal. Un coup de plumeau, — disparue la Passion ; un coup de plumeau, — mort le Requiem; un coup de plumeau, — finie la Symphonie; un coup de plumeau…

***

— Mais cela me plaît les désagréments.
— Pas à nous, dit l’Administrateur, nous préférons faire les choses en plein confort.
— Mais je n’en veux pas du confort. Je veux Dieu, je veux de la poésie, je veux du danger véritable, je veux de la liberté, je veux de la bonté. je veux du péché.

Aldous Huxley



Les petites règles de conduite toutes simples sont les plus difficiles à tenir



«Le remords chronique, tous les moralistes sont d’accord sur ce point, est un sentiment fort indésirable. Si vous vous êtes mal conduit, repentez-vous, redressez vos torts dans la mesure du possible, et mettez-vous à l’œuvre pour vous mieux conduire la prochaine fois. Sous aucun prétexte, ne vous abandonnez à la méditation mélancolique sur vos méfaits. Se rouler dans la fange n’est point la meilleure manière de se nettoyer.»
Aldous Huxley


Mardi 27 mars 2001



Phrase : Il y avait là un trappiste trapu qui jouait à se déguiser en trappeur en haut d’un trapèze.


mercredi 26 mars 2014

Lundi 26 mars 2001


(et ça ne part jamais dans le « hors » (sublime ou délire, dommage, elle  restera au ras des paquerettes, elle ne prendra qu’un amant falot (pas moi, dommage, tant pis)). Quand nous marchons tous les deux dans la rue, il y a de longs silences, je ne sais quoi lui dire, ou plutôt je ne suis pas du tout spontané…



Eure-et-Loir



Les grottes du Foulon sont le premier site touristique du sud de l’Eure-et-Loir

Une habitante de Lucé affirme avoir été violée par deux hommes

Un restaurant fermé pour manquement aux règles d’hygiène

Elle s’exhibe au pied de la statue de Jeanne d’Arc

Les loups aux portes de l’Eure-et-Loir

Un octogénaire eurélien à contresens sur l’autoroute : deux morts

La tentative de vol de palettes de parfums de luxe a échoué

Mainvilliers: de la drogue et une Kalachnikov dans le coffre d’une voiture volée

Jusqu’à deux ans ferme pour cent cambriolages en sept mois en Eure-et-Loir

Terrorisés par leur chat persan, ils demandent l’aide de la police

Braquage au magasin Super U d’Auneau

Un quintal de drogue caché à Lucé

En plein après-midi, ils rentrent dans une maison et volent un téléviseur



mardi 25 mars 2014

Mercredi 25 mars 2009



Château de Lierville. Pas vu la forêt de Marchenoir. Abbaye Aumône, est-ce Citeaux ? Il y a une forêt de Citeaux. Plus loin les vallons de la Sixtre, qui se jette dans la Cisse. Très proche : Talcy. J’ai oublié le guide Bleu. Le soleil perce. Une grande couverture de nuages gris blanc, gris sombre, court. À Lourdes une femme tue sa mère à coup de crucifix. Un cadre est « retenu » dans son usine par les ouvriers. Nouvelles stock-options chez Cheuvreux, filiale du Crédit agricole. Ménars, gris, pluie. Les Mées, Saint-Denis-sur-Loire, Macé, La Chaussée-Saint-Victor, son cimetière, la route au bord de la Loire est interdite. Entre les bourgs, situés sur les hauteurs, et la Loire bas fonds, prairies, peupliers (je crois). Lieu-dit le Nuisement. Ferme forteresse de Charleville, portail d’Ecoman.


lundi 24 mars 2014

Vendredi 24 mars 1972


Je passe l’après-midi avec Jean-Pierre et Marie-Odile sur le toit de la fac à recevoir des grenades lacrymogènes.

 

dimanche 23 mars 2014

Fragment d’un truc



On commence par monter petit à petit un sentier large d’une pente très légère. Le long de vastes courbes en quelques heures de flâneries à cueillir les fleurs du chemin, cent fois vues, au nom cent fois oublié malgré toutes les personnes du sexe féminin qui m’ont rabâché cent fois leur nom. Le chemin est bien aménagé par l’onf, les pompiers, les propriétaires de troupeaux. Il importe que les quatre-quatre y voltigent comme sur une autoroute. Plus loin, après la première maison forestière au nom cent fois entendu, cent fois oublié, la situation se dégrade sensiblement. Les bûcherons ont arraché la forêt et pas gênés, comme chez eux, leur bulldozers ivres ont arraché les bas-côtés du chemin, ils ont pris des raccourcis pour respecter les impératifs de productivité, c’est-à-dire être au plus vite en bas au… j’ai oublié le nom du café. J’ai tout oublié, oui, tous les noms propres. j’ai peut-être des excuses. À travers la France entière je connais et mêle dans mon pauvre esprit toujours tortueux et qui désormais vieillit bien plus de noms de cafés que de noms d’arbres, de noms de fleurs, plus peut-être que de prénoms de jeunes filles. Il n’y a plus qu’à continuer à marcher parmi les fondrières, les troncs d’arbre qui barrent la route (ils ne sont pas très rangeurs), jusqu’à atteindre la première prairie, clairière plane, herbeuse mais chardonneuse, trop humide pour y dormir. Partir de grand matin, oui, mais pas si tôt la prochaine fois. Pour les vaches, on a vu trop grand, je crois que comme les humains elles ont besoin de cadre, de discipline. Un pacage bien rectangulaire avec clôture sans électricité, repère stable. Ici, le paysan vous largue cent vaches sur dix mille hectares. Allez donc, j’entendrai toujours ta clochette en septembre ma belle, débrouille-toi. Les vaches ne savent pas fuir. Elles errent, guère plus désœuvrées que d’habitude, mais avec un vague à l’âme. Une vache dans un bois de pin, seule, qui regarde tout autour d’elle, qui ne voit plus une de ses compagnes, qui se demande déjà à onze heures du matin ce qu’elle va devenir quand le soir tombera, avec un léger pincement au cœur, sans maître, sans épaule où s’adosser, où se consoler.
L’homme n’est pas la vache, imagination trop vive, il n’erre pas, il a un projet, s’il fuit c’est vers un but. Et quel but plus absurde, plus inconséquent que d’atteindre un sommet, même aussi prestigieux que celui-ci.
Tu vas arriver en haut après quelques péripéties. Avec quelque chance auras-tu sans doute croisé deux Hollandaises rieuses au short très court, aux cuisses longues, solides et bronzées. Tu n’allais pas là pour cela. Alors monter toujours. Au sommet la vue vers les sommets est fort belle. Onze heures au sommet, le soleil au plus pur, regard vers la vallée. Il n’y a plus qu’à retourner parmi les hommes, ses semblables, ses faux frères.
À moins que je m’y installe pour l’hiver. Désormais, en bas, personne ne m’attend.
Lorsque le soir est tombé sur la montagne magnifique, couvrant les moindres monts alentour, obscurcissant les vallées qui sont prêtes à s’ouvrir accueillantes aux jeunes bêtes folâtres de la nuit, noyant progressivement les minuscules petites plaines humaines, lorsque le brouillard s’est posé lentement sur le lac magique je me suis demandé si j’allais redescendre.
Lorsque j’ai entendu le meuglement plaintif de la première vache du premier troupeau, que le souffle de l’aile du dernier oiseau diurne m’a frôlé le visage, que l’haleine gelée du vent du nord a posé dans mes cheveux les embruns du Mourre froid, j’ai cru que j’allais redescendre.
Pendant que j’ai fouillé mes poches à le recherche des mes derniers mars, de mes ultimes lions, pendant que j’ai erré autour de la cime à choisir une anfractuosité bien protégé des chauves-souris, crainte réelle mais sans objet, a-t-on jamais vu de moustiques à plus de mille mètres au-dessus du niveau de l’océan qui baigne les côtes vendéennes, je me suis dit que je n’allais pas avoir la force de résister.
Pendant que je relevais la fermeture éclaire du kway qui résistait et que j’étirai le bas de mon blue jean bleu passé pour y glisser mes pieds nus bleuis et me tortillais en tout sens pour aplanir les graviers dispersés parmi les herbes qui me rongeaient le dos, j’ai pensé aux deux ou trois personnes, pas plus, qui m’attendaient en bas.
Lorsque m’a effleuré de son aile immense, dans un grand silence le dernier deltaplane, à portée de voix, à portée de main, avec son bel orange phosphorescent, avec son petit personnage comique assis gravement dans son fauteuil comme si son existence, sa survie avait une quelconque importance, après la surprise, première peur, il m’est venu l’idée de partir par les voies aériennes.
Partir par le haut, voler pour bien acquérir, éprouver, apprendre mes plaines, mon lac, mes bois, mes sentiers, mes collines, ma ville, ma plus belle rivière de France, pour bien saluer d’au-dessus des arbres, parmi les falaises, les éboulis, les cheminées de fées, mes amis attablés dans un soir d’été sous une tonnelle, mes amis dont j’ai oublié le nom, alors j’ai préféré redescendre.
J’ai rechaussé mes chaussures de sport à mes pieds raidis, j’ai regroupés mes petites affaires éparses, j’ai ramassé les papiers froissés du lion, du mars, des cookies, du moins ceux qui ne s’étaient pas envolé avec les frôlement d’ailes, j’ai baissé la fermeture éclaire pour mieux respirer. Mais quand j’ai fait trois pas sur le chemin, sachant ce qui m’attendait dans les vallées, j’ai préféré rester, juste ce soit, oh, juste un soir…
Quand j’ai vu filer la première étoile filante, disparaître au plus vite, j’ai compris que je n’avais rien à en attendre d’elles non plus, que leurs signes, leur clin d’œil n’étaient que des leurres, j’ai compris que je n’avais rien à en espérer, que j’étais vraiment seul.
Quand j’ai aperçu le cul et la queue de la marmotte frétillante qui sûre de l’absence de touriste à cette heure mâchait sa touffe d’herbe avec méthode, avec conscience, peut-être avec volupté, avec sagesse, avec science et sapience, avec plaisir, je me suis décidé à rester, juste ce soir, que ce soir.
Quand la nuit est vraiment tombé, que l’air s’est immobilisé pour me harceler, moi, seule cible à travers toutes les épaisseurs de pull et de toile imperméable, à me picoter, me dévorer de ses milliers de petites aiguilles insidieuse et venimeuses, à travers ma barbe de deux jours, à me rougir les yeux jusqu’aux larmes, j’étais fermement décidé à redescendre demain matin.
Lorsque les gouttes de pluie se sont mises à orienter mes rêves vers les claquements de pluie du toit de mon enfance j’ai choisi de les diriger vers d’autres horizons plus ensoleillés, vers une plage au soleil d’acier, un soleil abrutissant aveugle, j’ai vaguement repensé à ceux d’en bas, à un lit douillet, à un lit d’août où l’on rejette les draps baignés de sueur.
Quand à l’aube j’ai été pisser face aux dernières étoiles, face au lac, face à la cathédrale qui émergeait, le corps transi, douloureux, courbatu, le seul moment où je suis un peu lucide, j’ai supputé avec précision les chances statistiques que j’avais de redescendre.
Quand l’aube s’est levée, quand l’aube s’est levée, blanchâtre, soleil blanc, ciel blanc, Mourre froid blanc, plaines grises, quand je me suis dit que j’étais le seul vivant de ce vaste monde, j’ai cru savoir que je ne redescendrai pas.
Lorsque les oiseaux de nuit se sont affolés une dernière fois, vols paniques dans tous les sens, cris suraigus et cacophoniques, avant de laisser place à la suavité des premiers oiseaux de jour, au fait, me suis-je dit, il n’y a plus que deux personnes qui m’attendent.
Alors que je faisais trois fois le tour du monticule de pierres plates dont est formée le socle qui supporte la croix que l’on peut apercevoir de la rue Clovis-Hugues avec de bonnes jumelles que qui sait ? quelque lève-tôt était en train d’observer j’ai repensé à ces babouins divers, Clovis Hugues, Léauthier.
Quand j’ai tourné trois fois puis cinq fois, dix fois dans ma tête déjà un peu moins claire, les divers solutions qui se présentaient estimant les possibilités des unes et des autres, calculant les avantages et les inconvénients, m’avisant des quelques obstacles que j’avais oublié, alors j’ai vraiment été persuadé que j’allais redescendre dans la minute suivante.
Mais quand j’ai vu toute la famille marmotte bien éveillée, active, qui déambulait en fille indienne pour aller vaquer à ses activités sachant qu’il faut se presser, que la besogne doit être terminée avant l’arrivée des premières hordes humaines nombreuses, j’ai cherché vite un endroit où moi aussi me terrer.
Alors j’ai repensé à cette ravissante salope qui m’avait définitivement abandonné que là rien n’était à espérer, que mon seul avenir ne résidait plus que dans cet azur pur, l’air des cimes et le regard dédaigneux sur les vallées et les plaines bruissantes. Je me suis dit que je ne redescendrai plus, plus jamais.
Quand le premier des promeneurs, il n’était pas huit heures, cet olibrius avait dû se mettre en route sur les quatre heures, m’a offert son quignon, sa tablette de toblerone, son café infect mais brûlant, certaines fonctions organiques se sont remises en place et j’ai pensé que parfois, il n’y avait pas lieu de désespérer totalement de l’humanité.
Quand le lac a émergé de la brume, bleu métallique, éblouissant, toujours là, éternel, le seul lac bâti par l’homme, le seul lac éternel, plus beau et plus profond que les bleus les plus beaux des plus grands peintres de bleus, je me suis dit que ce n’était plus la peine d’aller courir les musées plein de microbes, que ce n’était pas la peine d’aller voir ailleurs.
Quand j’ai cru deviner derrière les plus lointains bosquets (arbres immenses) la muraille de l’abbaye (je sais qu’on ne peut la voir d’où je suis), quand j’ai vu flotter sur les eaux la chapelle blanche de Saint-Michel, j’ai su que c’était vraiment inutile d’aller chercher ailleurs, chercher quoi ?
Quand les deux hollandaises sont arrivées, trois fois plus grandes que moi, pépiant dans la combe du nord qui renvoyait leur écho, je me suis demandé si tout compte fait elles n’étaient pas suédoise ou, pire, finlandaises.
Quand je me suis égaré aux alentours, je me suis penché pour observer toutes ces petites fleurs inconnues dont je ne connaîtrai jamais le nom, quand je me suis penché au bord du gouffre pour nommer chaque village, chaque lieu dit chaque chapelle, chaque pic, je me suis dit que j’avais, ici, encore bien des choses à apprendre.
Et j’ai pensé un instant à elle, à sa chevelure comme une aile noire menaçante, que je ne reverrai plus, jamais plus en cette vie, qu’elle vivrait encore un peu quelque part sur cette planète, là-bas au nord, vers l’océan, j’ai eu un frisson et je me suis décidé à redescendre.
Lorsque, à midi, j’ai observé la stratégie des marmottes perchés sur une étroite prairie inaccessible d’où il pouvait observer attentivement les jeux et les errances des groupes d’humains qui tour à tour se succédaient sur la jetée près de la croix pour jeter un oeil à l’abîme avant de bêtement faire demi-tour j’ai pensé un instant qu’il serait bon de rester là.
Quand j’ai vu les deux asticots arriver, hirsutes et hilares, avec leur nez rouge et leur casquette de rappeur, chargés comme des bourricots de toutes les provisions, exaltés de me retrouver sain et sauf (sain toujours, sauf forcément), je leur ai dit : « Écoutez maintenant, vous allez m’aider à construire mon igloo pour cet hiver. »

Jeudi 23 mars 2000



Tabac de l’angle de la rue Cadet et de la rue Lafayette. Une jeune fille, jeune femme de vingt-cinq ans peut-être, cheveux mi-longs, plats mais épais, raie milieu-gauche, brun-roux, visage pâle, yeux maquillés. Avec un type mal rasé qui a un jeune chiot sur les genoux. Ils boivent du ricard. Elle sirote d’infimes gorgées. Beau visage, lisse, mais beaucoup de grimaces qui la rendent parfois laide, de mimiques expressives, souriantes ou tragiques qui varient d’une seconde à l’autre, en perpétuel mouvement, des rides, l’instant d’après la bouche tordue, puis une naïveté angélique, puis un regard angoissé. Vivante.


samedi 22 mars 2014

Jeudi 22 mars 2001



Ce fut deux bons jours avec eux trois.
Au retour dans le rer bondé qui va vers la banlieue nord-est un groupe de Noires chante à la manière d’un negro spirituals assis à leur place et debout autour : « Les choses de ce monde te décevront mais Jésus est fidèle, oui, Jésus est fidèle. » Elles sont remplies de joie et d’énergie.

Idée d’histoire : raconter mes funérailles, dans l’église de Cloyes, avec toutes et tous, les éplorées, les sombres, etc.



vendredi 21 mars 2014

Mercredi 21 mars 2001




Hier, le printemps. Dimanche en huit, en une journée les prunus de l’avenue se sont couverts de leurs fleurs qui ont émergé au fil des heures quasiment à vue d’œil, c’était comme une lente symphonie qui montait pour remplir tout l’air et l’espace. Ce matin après une semaine de pluie, elles ne sont plus que pourritures brunes. La pluie, la pluie, inondations, même de la Seine à Chatou, on va atteindre les niveaux de début janvier 2000.


jeudi 20 mars 2014

Dimanche 20 mars 2011



Twitts:
Élisabeth regarde le rugby, Aurore fait de la guitare: le monde est en place. Pascal regarde Roland Barthes, Sigmund Freud gambade et hurle dans la nuit: le monde est en place. Élise se maquille pour son casting, Laurent écoute Yuja Wang à Pleyel: le monde est en place. Faustin écoute des Japonaises (obscènes et bruyantes), Thomas prépare sa messe, Patrick s’engueule avec un type: le monde est en place. 
Le tout écrit pendant que je suis en direct les premiers bombardements en Libye.

Et pour me mettre encore plus mal à l’aise, mal à l’aise n’est pas le mot juste mais lequel autre? je lis, après avoir fini Si c’est un homme, L’Espèce humaine.

Un regard rétrospectif sur ces lectures auxquels s’ajoutent les événements de cette semaine nous autorise à croire, nous contraint à être persuadé qu’il n’y a pas de repos pour les hommes sur cette terre. 
    


mercredi 19 mars 2014

19 mars



Mardi 19 mars 2002
Rien.

Mardi 19 mars 2013
Rien.


mardi 18 mars 2014

Vendredi 18 mars 2011



Donc, folie et raison.
Vu Mauriac journaliste engagé et Les Filles de Kamaré; ça s’appelle faire le grand écart. Maman a l’esprit fort clair, mais elle a vomi ce matin.
Folie et raison, on verra demain.

 

lundi 17 mars 2014

vendredi 17 mars 2006



[…]
Autre rêve, guère érotique celui-là: je suis dans le lit qui ressemble à un lit de camp du salon, où je dors quand je cède mon lit à mes invités. Une Japonaise revêtue d’un ciré bleu, coiffée d’un casque de moto, bardée de nombreux appareils photo en bandoulière, ouvre les draps et me dit: «Allez, pousse-toi.»



dimanche 16 mars 2014

Jeudi 16 mars 2006



Lundi, je suis arrivé à midi. Ça a commencé par une discussion à table, en présence d’un invité, il a prétendu que les attentats du 11 septembre avaient été fomentés par les Américains. Il m’a un peu énervé. Puis il a passé toute l’après-midi à rédiger un texte lyrique et flamboyant totalement hors sujet alors qu’elle ne cessait de lui répéter: “mais c'est pour la médiathèque, ils ne veulent que trois lignes de présentation sobre”. Il n’a rien fait d'autre. J’ai passé ce temps à relire et vérifier une traduction de Shelley pendant qu’elle, petite fourmi, faisait la maquette de trois livres à la fois.

Bonne nuit de sommeil.

Mardi matin il a commencé par dire qu’il ne pouvait pas travailler dans ces conditions, “dans un couloir” (certes la maison est petite, mais), puis le ton a monté, il l’a traitée de “crétine démocrate illettrée” et, en ce qui me concerne, que mon travail était “nul”. Là-dessus, il a préparé son ordinateur, cherché ses pulls et déclaré qu’il allait vivre à l’hôtel. Il a sauté dans son auto et a disparu. J'ai rangé mes petites affaires; elle était malheureuse comme tout (“vous aussi”) mais m’a compris; je l’ai embrassée et ai rejoint la gare à pied. Bien entendu il était revenu à la maison entre-temps.  Il a foncé à la gare en voiture. Il m’a cherché partout. Comme mon train ne partait qu’à midi, prévoyant le coup, je me suis éloigné de la gare, douce flânerie au bord du fleuve. Il m’a envoyé une vingtaine d’appels téléphoniques en moins d'une heure. J’ai coupé mon portable. Mais, pas si subtil que ça le gars, il ne m’attendait pas au départ du train. Le soir — donc avant-hier soir — il a appelé x fois chez moi sans que je décroche.

Je continue mon travail, à mon rythme, un bon rythme, hors du cirque, dans le calme.

Je l’ai appelé ce soir, il était doux comme un agneau.


samedi 15 mars 2014

Vendredi 15 mars 2013



Dans trois semaines, un mois, il faudra prendre une décision (lui mettre la sonde dans l’estomac). Ce sera avant tout à elle de décider, « je n’ai pas l’impression qu’elle veuille », dit le docteur.
« Et alors ?
— Alors on la laissera partir… »

Aujourd’hui ce fut sa meilleure journée, elle dort peu, elle a les yeux ouverts la plupart du temps, elle suit les gens qui se déplacent, elle suit les conversations. Certes, elle bave toujours et a une toux grasse qu’elle a du mal à exprimer.



vendredi 14 mars 2014

Lundi 14 mars 2011



Il existe un vrai lien profond entre les êtres — qui peut être de camaraderie, d’affection, d’amour, d’amitié ou d’un autre mot que la langue française imparfaite ne connaît pas — lorsque l’un peut dire à l’autre «tu as mauvaise haleine» et que l’autre ne se formalise pas, en prend bonne note, est même heureux que cela lui soit dit, que ce service lui soit rendu.

 


jeudi 13 mars 2014

Mardi 13 mars 2001


Phrases:
Cette salope avait fait de son salon un saloir. Savamment ce sauvageon sautilla devant le sauvignon, avant de le siffler à la sauvette.


mercredi 12 mars 2014

Mardi 12 mars 2002


Natalia Sazonova. Apparition, ange, passante, rencontre, je ne la reverrai jamais.

mardi 11 mars 2014

Dimanche 11 mars 2001


Phrases :
Les deux hommes étaient emberlificotés, les flics arrivaient; celui qui n’avait pas d’arme dit à celui qui avait le pistolet: «Vas-y, bon sang, vas-y! tire sur le chien!»
La révolution un revolver à la main, est-ce révolu? non, la revoici! J’ai revomi une dernière fois avec révulsion sur toutes ces revues révisionnistes. Guérir les rhumatismes? mettez du rhum dans vos rhubarbes! Richard, riche, richement, richesse, richissime, y’a plus qu’à plonger dans l’huile de ricin en ricanant sur un air de rhythm and blues.


lundi 10 mars 2014

Vendredi 10 mars 1972


Le vendredi 13 décembre 1940, à New York, dîner de malheur. Chez Dorothy Parker, il y a Eileen et Nathanael West qui se tuèrent en voiture le lendemain, et Francis Scott Fitzgerald qui mourut trois jours plus tard.


(1997)
Scrupules : elles me rappelaient, ces jeunes filles, tellement nos camarades de Hongrie, bonnes filles de la bourgeoisie qui avaient intégré les idées nouvelles, jupes plissées et âmes de feu.


dimanche 9 mars 2014

Samedi 9 mars 2013



Première journée vraiment printanière.

Ce matin elle dort, elle ouvre à peine les yeux de temps en temps. Je lis Malègue à côté d’elle. Elles lui ont remis 500 cl. Elle a la lèvre inférieure complètement pendante, en revanche les joues ne sont plus creuses si bien que je crois qu’elles lui ont remis son dentier. (J’emploie «elles» alors qu’il y a dans le nombre qui s’occupent d’elle un ou deux infirmiers.)

J’y retourne avec mon fils. Est-ce l’effet de l’alimentation (encore 500 cl ce matin, et 500 cette après-midi), elle a les yeux ouverts et fixe Jo. Je dirais presque: «ardemment». Mais tous nos avis ne sont que des interprétations à partir de signes infimes. Puis elle dort, je m’endors aussi accoudé à la barre horizontale du lit. Jo lui tient la main, il me dit qu’elle ne réagit à aucune de ses pressions.

Nous rentrons, j’y retourne vers six heures, seul. Elle reste éveillée. L’infirmière vient changer la poche qui est «ingurgitée»: de l’eau (du robinet) pour la nuit. Elle oscille légèrement la tête pour regarder à gauche ou à droite de son lit, un infime mouvement. Je me suis assis sur sa droite, de façon qu’elle me voie mieux parce que sa tête reste orientée vers la droite. La  voisine me dit qu’elle appelle régulièrement parce qu’elle s’est affaissée contre la barre du lit.

Oui, elle n’est que regard, mais un regard non pas fixe, sans expression. Si, souvent elle nous fixe, elle s’enfonce dans notre regard. Ses traits sont figés, les rides du front ne bougent pas, ni sourire, ni expression malheureuse, ou triste. Le tuyau qui rentre dans la narine droite est maintenu par un élastique qui va d’une oreille à l’autre. Elle est un parfait personnage de Beckett, prisonnière de son corps, isolée du monde, incapable de la moindre communication avec ses semblables, emmurée.

J’ai le sentiment d’arriver toujours trop tard, de repartir toujours trop tôt. 
Je pars. Du couloir elle me voit encore, elle me suit des yeux jusqu’au bout. C’est un progrès. Mais est-ce que ce genre de progrès n’est pas pire? Est-ce que je ne préférais pas la voir dormir. Je me dis: c’est reparti. Elle ne parlera plus. Elle va rester comme ça, des mois, des années, jusqu’à la crise suivante.



samedi 8 mars 2014

Vendredi 8 mars 2013



On s’achemine vers le pire, vers le statu quo: elle ne mourra pas, elle ne ressuscitera pas.

Ces dames les infirmières trouvent qu’il y a un léger mieux. Est-ce que cela fait partie des consignes, veulent-elles s’en convaincre? Je ne trouve pas qu’il y a un quelconque progrès. Dans le regard, plus vivant, disent-elles. Mais elle n’ouvre les yeux qu’une minute, même pas, quelques secondes parfois, pas souvent, rarement. Elle somnole la plupart du temps. Ces deux avant-bras, la seule chose vivante d’elle à part les yeux, ne bougent plus du tout. Elle ne me fait plus jamais de signe. Avant-hier, quand je partais elle me suivait des yeux, me faisait un signe de la main. Elle a ignoré mes départs aujourd’hui. 
Elles n’ont pas réessayé de lui glisser un peu de compote dans la bouche, elles y ont renoncé. A midi et quart elle sont venues pour supprimer la perfusion, pour supprimer l’eau salé, «eau physiologique», semblable aux larmes, dans la sonde et pour la remplacer par de la nourriture, «nourriture». Avec une nouvelle pompe perfectionnée. 500 cl. La pompe envoie dans la sonde 50 cl par heure. À cinq heures et quart la pompe s’est mise à sonner: c’était fini: en cinq heures exactement on lui a ingurgité 500 cl de nourriture. Elle n’avait eu que de l’eau pendant deux jours, ou trois jours, je ne sais plus. Ils vont augmenter la dose progressivement les jours suivants.

Elle dort la plupart du temps, ou somnole, on ne sait trop, car parfois elle a la respiration paisible du dormeur mais les yeux sont ouverts. Je ne peux dire grand ouverts, ils sont toujours mi-clos. Ou alors les yeux sont fermés mais la respiration n’est pas celle du dormeur. Ce qui est terrible est qu’elle ne sourit pas, qu’elle ne peut pas, non plus qu’avoir l’air attristé. Elle est paralysée. Son visage ne peut plus exprimer aucun sentiment.

Statu quo, routine, j’y vais de onze heures à midi et demi, puis y retourne après avoir fait une sieste vers quatre heures, je rentre vers six heures et demie le soir.

vendredi 7 mars 2014

Études


Trouvé sur le blog Passée des arts:

«L’étude est à l’homme adulte ce que le jeu est à l’enfant. C’est la plus concentrée des passions. C’est la moins décevante des habitudes, ou des attentions, ou des accoutumances, ou des drogues. L’âme s’évade. Les maux du corps s’oublient. L’identité personnelle se dissout. On ne voit pas le temps passer. On s’envole dans le ciel du temps. Seule la faim fait lever la tête et ramène au monde.

Il est midi.

Il est déjà sept heures du soir.»
Pascal Quignard


Dans la foulée, relisons:

«Que le travail que je vous ai présenté ait eu cette allure à la fois fragmentaire, répétitive et discontinue, cela correspondrait bien à quelque chose qu’on pourrait appeler une “paresse fiévreuse”, celle qui affecte caractériellement les amoureux des bibliothèques, des documents, des références, des écritures poussiéreuses, des textes qui ne sont jamais lus, des livres qui, à peine imprimés, sont refermés et dorment ensuite sur des rayons dont ils ne sont tirés que quelques siècles plus tard. Tout cela conviendrait bien à l’inertie affairée de ceux qui professent un savoir pour rien, une sorte de savoir somptuaire, une richesse de parvenu dont les signes extérieurs, vous le savez bien, on les trouve disposés en bas des pages. Cela conviendrait à tous ceux qui se sentent solidaires d’une des sociétés secrètes sans doute les plus anciennes, les plus caractéristiques aussi, de l’Occident, une de ces sociétés secrètes étrangement indestructibles, inconnues, me semble-t-il, dans l’Antiquité et qui se sont formées tôt dans le christianisme, à l’époque des premiers couvents sans doute, aux confins des invasions, des incendies et des forêts. Je veux parler de la grande, tendre et chaleureuse franc-maçonnerie de l’érudition inutile.»
Michel Foucault



Jeudi 7 mars 2013



On lui fait des bains de bouche avec du Coca-Cola régulièrement parce que, puisqu’elle ne peut déglutir, sa bouche s’assèche et, progressivement, s’emplit d’une sorte de matière gluante qui doit être de la morve, je ne sais ?
À midi tentative infructueuse de lui glisser quelques bribes de compote entre les lèvres. Ils sont quatre. La doctoresse, deux infirmières, une aide-soignante, apparemment il faut guetter, si jamais elle s’étranglait. Je pars. Dans la foulée ils lui ont mis la sonde. Aujourd’hui ils ne lui donnent que de l’eau, un genre de nettoyage d’estomac, demain ils commenceront à introduire tout ce qui est utile, nourriture, vitamines, médicaments. Elle le supporte assez bien mais.

(Ces jours : je lis Malègue, à la maison je passe en boucle la Cenerentola.)

L’après-midi, c’est le cirque.
La voisine a de la visite: trois personnes. Mon frère est là avec sa femme et son fils. Et mon autre frère. Maman somnole, elle suit la conversation si bien que je suis obligé de les engueuler: ils doivent se taire devant elle, éviter de dire certaines choses.
Ils restent enfermés longtemps dans le bureau de la doctoresse. Premièrement, donc, ce que j’avais mal compris hier, il est possible que les prochains jours survienne un autre AVC, notamment ce qu’ils appellent un AVC massif. Deuxièmement, il n’est pas dit que son corps accepte la sonde et la nourriture par là.
Décider d’arrêter, c’est-à-dire, clairement la laisser mourir de faim, non dit le docteur, c’est son corps, c’est elle qui ne veut plus… Bref. Elle dit que c’est elle qui décide de ne plus. On me demande, on nous demande de prendre une décision insupportable à prendre dans un cas comme dans l’autre.
La seule prière que je fais, sans arrêt, toute la journée est «Seigneur que ta volonté soit faite».
Quand ils sont partis, à cinq heures du soir, encore quatre viennent dans la chambre, ils s’enferment avec elle une bonne demi-heure. Il s’agit de la mettre, elle et ses tuyaux, sur un lit provisoire, puis d’enlever son matelas pour le remplacer par un matelas d’eau, parce que bien sûr, en plus, les escarres menacent. Lorsque je rentre dans la chambre elle est proprette, pimpante, bien éveillée, le corps assez droit sur le lit, car, à cause de cette sonde qui du nez va à l’estomac, il ne faut pas qu’elle soit couchée. Il n’y a plus personne, silence, ça lui convient mieux. Je m’installe à côté d’elle. Bien vite elle se rendort, ou elle somnole, elle est la plupart du temps entre les deux. Lorsque je pars à sept heures, elle ne me dit pas au revoir, elle ne réagit pas à mes baisers.