Hier
donc Chartres, il m’embrasse comme s’il voulait me mordre, non, les poings
tendus comme s’il allait me mettre un coup de canne. Et je crains
ses coups, oui, car, pourrai-je, suis-je autorisé à répondre à
ce vieillard qui est le plus insupportable de tous les vieillards que j’ai
jamais connus.
Ma mère
pareille à elle-même, je lui pardonne, je refuse de voir, qu’elle
répète souvent les choses, «tu viendras mardi?», question posée trois
fois, «tu as payé l’épicier?», question posée quatre fois, etc.
Maman reste ma mère, jeune et belle éternellement. Que ma fille voie sa
mère de cette façon toute sa vie voilà ce que je lui, ce que je
leur souhaite. Ce que je me souhaite.
Culpabilité.
Culpabilité et péché. Je n’ai pas tort d’éprouver de la
culpabilité à ne pas pouvoir emmener ce mois mes enfants à la mer
(ou ailleurs), car c’est un péché que de ne pas vivre au soleil à
la lumière à la nature durant l’été, c’est un péché que de
perdre son temps dans les villes. Je n’aime guère les villes
désormais et préfère les solitudes, et je conviens que ces villes
sont encore plus désespérantes quand, au mois d’août, elles sont
vides d’hommes; elle sont faites pour une population
nombreuse et la vacuité ne leur va guère, elles sont plus désertes
que le désert.
Culpabilité. Ai-je raison? Il n’empêche que j’éprouve le
sentiment de les abandonner en août; avec ça la honte du père
pauvre qui ne peut offrir quelques vacances à ses enfants. Il est
vrai que pour m’ôter ce remords je vais envoyer mille euros à
leur mère, des fois qu’elle avec eux et les autres partent, et si
elle ne part pas, ne veut pas ou ne peut pas (car avec mille euros si
elle ne peut compléter on ne va pas loin), elle trouvera toujours de
quoi les dépenser. Mais je ne sais jamais, son silence étant tel
(terrible), de quoi elle a besoin, dans quelle mesure elle dit la
vérité. (Ce que je sais c’est qu’elle ne me dit jamais rien
sinon pour geindre, se plaindre, se lamenter, ou alors comme la
dernière fois pour m’envoyer une flèche empoisonnée.)
Culpabilité
de ne pas être assez avec eux, culpabilité de ne pas être assez
avec ma mère, culpabilité de ne pas être assez malheureux alors que leur mère l’est (je suppose qu’elle l’est), culpabilité de ne pas
penser assez à Macaronie et Bidibulle alors que je pense à elles tout
le temps, dix fois, cent fois plus qu’elles n’imaginent,
culpabilité de ne pouvoir rien faire pour elles alors que ce sont
elles qui refusent tout de ma part.
Culpabilité de rire, de
respirer, alors que peut-être (mais tout se joue dans ma tête) à
la même seconde elles (ou leur mère) ne sont pas heureuses. Oui
mais je n’ai pas tort d’avoir la culpabilité éternelle de les
avoir menées là où elles sont, que si bonheur il y a ce n’est pas
moi qui leur aurait donné, et que tout le malheur qu’il y a, lui,
vient, indirectement sans doute mais fondamentalement, de moi, de mes
agissements, de mes gravissimes sottises passées, et que je ne fais
rien pour y remédier aujourd’hui, la seule excuse que j’ai, qui
pour moi n’en est pas une, est que je ne peux absolument rien. Je
ne peux absolument rien puisqu’elles refusent tout.
Je
ne suis pas encore remis des «révélations» de Modigliani. Elle, au moins, manie sans mesure le tranchant de la vérité,
elle ne dissimule pas, bien pareille pour cela à sa grand-mère
(ma mère, pas ma belle-mère, elle qui à l’inverse, pareille à sa fille, tait les vérités, ou n’ose, ou ne sait les dire, mais
question langue de vipère, est toujours prête à faire du mal en
se faisant croire à elle-même qu’elle va faire le bien, que c’est
pour le bien, le «bien»). Ma fille fréquentait Renaud, le poissonnier du super marché,
son pourvoyeur de h, au demeurant garçon charmant, poli,
personnalité sympathique, chaleureuse. Elle dit, et je la crois, qu’il
n’y a jamais rien eu entre eux (dans notre société, on l’aura
compris, quand l’on dit «rien eu» cela veut dire pas
de «relation sexuelle»). Renaud vient d’être arrêté
pour tentative de viol et violences et agression contre une femme
dans le rer à quatre heures de l’après-midi entre La Folie et L’Étoile. Le poissonnier est en prison, ma fille a été témoigner à
la police qu’il a toujours été correct, et moi je trouve cette
histoire diablement louche. Dans l’attente de plus amples
informations, je ne crois rien, je doute de tout.
Autre
révélation de Modigliani ou plutôt de ma chère et adorée (je n’ironise
pas) Ma-Belle-Mère-Chérie-Langue-de-Vipère […], etc.