dimanche 10 novembre 2013

Interdit aux moins de dix-huit ans





Le film est sorti le 5 novembre 1965.
Mes camarades de classe se moquaient de moi : « Comment ça ? Je n’avais pas été voir le film !  Qu’est-ce que j’attendais !»
Je bredouillais : « Mais… mais… je ne peux pas, je n’ai pas dix-huit ans… »
Je me suis décidé. J’ai forcé ma nature. Je ne pouvais pas y aller avec mon petit frère, qui avait deux ans de moins que moi. Quinze ans, c’était beaucoup trop jeune, d’habitude je l’emmenais voir les Godards, au fur et à mesure de leur sortie (ils nous faisaient bien marrer), mais là ce n’était pas possible.
Je suis donc allé seul dans un cinéma des Grands Boulevards, à droite vers Richelieu-Drouot. À l’entrée je m’attardais longuement devant l’affiche qui reproduisait l’article qu’Aragon avait écrit pour Les Lettres françaises.
Enfin j’ai pris mon courage à deux mains, mes deux mains qui tremblaient quand j’ai demandé une place à la caissière (coiffure choucroute). Il ne se passa rien, elle est restée imperturbable, indifférente. M’a-t-elle seulement regardé ?
En première partie, il y avait ce mémorable court métrage que je n’ai jamais revu. On y voit deux béquilles sur une plage. Qui pourra me retrouver ce petit film ?
Élie Faure ! Vélasquez !
Soudain, le pire survint, au milieu du film. La bobine cassa ! On alluma les lumières. Et alors j’ai eu des sueurs froides, ça me gouttait du front jusque dans les yeux. On avait rallumé les lumières rien que pour moi. On allait contrôler les cartes d’identité et me traîner dehors, les jambes pendantes, un gendarme me tirant pas le col ; ça allait être l’opprobre, la honte, les regards et les rires, pour finir misérable au poste de police du quartier, au fond d’une cellule humide. Et je voyais déjà mon père venant me chercher, hochant la tête comme il savait faire, déçu mais indulgent.


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