Le film est
sorti le 5 novembre 1965.
Mes camarades
de classe se moquaient de moi : « Comment ça ? Je n’avais pas
été voir le film ! Qu’est-ce que j’attendais !»
Je
bredouillais : « Mais… mais… je ne peux pas, je n’ai pas dix-huit
ans… »
Je me suis
décidé. J’ai forcé ma nature. Je ne pouvais pas y aller avec mon petit frère,
qui avait deux ans de moins que moi. Quinze ans, c’était beaucoup trop jeune,
d’habitude je l’emmenais voir les Godards, au fur et à mesure de leur sortie
(ils nous faisaient bien marrer), mais là ce n’était pas possible.
Je suis donc
allé seul dans un cinéma des Grands Boulevards, à droite vers Richelieu-Drouot.
À l’entrée je m’attardais longuement devant l’affiche qui reproduisait
l’article qu’Aragon avait écrit pour Les Lettres françaises.
Enfin j’ai pris
mon courage à deux mains, mes deux mains qui tremblaient quand j’ai demandé une
place à la caissière (coiffure choucroute). Il ne se passa rien, elle est
restée imperturbable, indifférente. M’a-t-elle seulement regardé ?
En première
partie, il y avait ce mémorable court métrage que je n’ai jamais revu. On y
voit deux béquilles sur une plage. Qui pourra me retrouver ce petit film ?
Élie
Faure ! Vélasquez !
Soudain, le
pire survint, au milieu du film. La bobine cassa ! On alluma les lumières.
Et alors j’ai eu des sueurs froides, ça me gouttait du front jusque dans les
yeux. On avait rallumé les lumières rien que pour moi. On allait contrôler les
cartes d’identité et me traîner dehors, les jambes pendantes, un gendarme me
tirant pas le col ; ça allait être l’opprobre, la honte, les regards et
les rires, pour finir misérable au poste de police du quartier, au fond d’une
cellule humide. Et je voyais déjà mon père venant me chercher, hochant la tête
comme il savait faire, déçu mais indulgent.
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