J’étais tellement ivre que je ne pouvais plus tenir un
verre à la main. On buvait la vodka dans des gobelets en carton mince et mou.
J’étais assis par terre, la tête adossée au canapé, la bouche grande
ouverte ; et mes amis, prévenants, me vidaient la Żubrówka dans la gorge. J’engloutissais
le liquide d’une traite.
Plus tard dans la nuit nous sommes allés dans l’île
prendre l’air. Ils m’ont traîné comme un pantin désarticulé — que j’étais. Nous
étions tous éparpillés sur la pelouse au bord du fleuve. Chacun solitaire dans
son monde.
J’ai arraché des touffes d’herbe.
De retour dans l’appartement j’ai vomi. R et MC étaient
deux jeunes filles de vingt ans que je voyais pour la première fois. Elles ont
nettoyé le vomi. Encore aujourd’hui je leur suis reconnaissant de ce qu’elles
ont fait, et d’avoir accepté plus tard de me revoir. J’ai dormi sous la table,
étendu à côté de R ; je lui tenais la main pour ne pas sombrer.
Quinze jours plus tard, à Bruxelles, ce fut au vin rouge
dans la Petite Rue des Bouchers. Nous avons quitté le bar et j’ai couru dans la
nuit comme un dératé le long des immeubles cossus, le long de vastes parcs ténébreux,
franchissant les carrefours sans prendre garde à la circulation ; j’ai
couru longtemps, à perdre haleine, aspirant peut-être à me faire écraser une
bonne fois et qu’on n’en parle plus.
L’avenue était bordée d’opulentes villas bourgeoises
disséminées dans de beaux parcs. Le feuillage des grands arbres était illuminé
par les réverbères. Tout était désert, silencieux, serein. Je me suis effondré
sur le large trottoir herbu. Ai-je vomi?
J’ai arraché des touffes d’herbe.
Mes amis avaient disparu. Une
heure a passé. Rosemarie a été cherché la voiture, elle m’a hissé comme elle
pouvait à l’intérieur. Plus tard, à Charleville, elle m’a bordé dans un lit
d’enfant. Elle a parlé longtemps. Sa voix me berçait. Elle était une sœur de
charité.
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