— Si
je n’y vais pas je vais le regretter.
— Oui
mais si tu y vas tu n’iras pas voir ta mère.
—
Mais ma mère ne va pas se rendre compte de mon absence de trois jours.
— Mais
à chaque minute de chaque jour où tu n’es pas à ses côtés, elle sait que tu
n’es pas là.
— Dois-je
lui sacrifier tout mon temps?
— Il
faut un juste dosage entre ta vie et la sienne.
—Où
est le juste dosage? Quand je n’y vais pas je me sens coupable. Donc en
plus de lui faire du mal je m’en fais.
—
Alors vas-y de nombreuses heures chaque jour.
— Et
ma vie?
— Ta
vie vaut-elle plus que son bonheur?
— Et
qu’ai-je comme vie autre? Le colloque? Je ne le reverrai pas deux
fois dans ma vie, au reste une fois suffit.
—
Mais depuis ta naissance tu as manqué des tas d’événements qui ne sont arrivés
qu’une fois. Un de plus un de moins.
—
Est-ce une raison pour en manquer un de plus? C’est la quadrature du
cercle: je ne vais pas la voir je me sens coupable, une sorte de
culpabilité à la Kafka, un peu; j’y vais, je ressors malheureux, d’autant
que je n’ai pas manqué à mon départ, après une petite demi-heure avec elle, de
me sentir coupable de partir si vite. Et ce n’est pas une question de temps,
que cela soit après un quart d’heure ou après une heure, toujours la boule
d’angoisse dans la gorge, l’accablement me saisissent à la minute où je me lève
pour mettre mon manteau.
— Et
loin?
—
Loin à Chandolin, à Porto, je n’y pense pas, je suis léger, jusqu’à un éclair
parfois, violent, mon front s’assombrit, puis je reviens vers la lumière,
j’oublie, et le soir dans mon lit je m’en veux d’avoir effacé si vite cet
instant qui me faisait souffrir.
— Tu
ne peux t’empêcher de vivre, ce n’est pas possible. Il faut trouver une
solution.
— Le
statu quo est encore le moindre mal, La seule perspective de changement, qui
arrivera un jour, c’est sa mort.
—
Comment vivras-tu après?
—
Après, il y aura le vide, une liberté nouvelle, avec la peur de la liberté
nouvelle, la dernière liberté, à travers tout un monceau de problèmes matériels à
résoudre.
— Tu
souhaites sa mort?
— Je
ne sais pas. Je souhaite l’impossible. je souhaite sa résurrection.
— …
Les
deux dames sont dans leur lit. Je ne fais plus de billets parce que ma mère ne
dîne plus dans la grande salle à manger et que dans son lit dans sa chambre du
fond, à tel numéro de l’allée de l’Olizanne (ils ont parodié la vie courante,
la vie hors de ces murs), rien n’arrive, sauf «Question pour un
champion».
La
désespérance absolue c’est cette rue des faubourgs au crépuscule, sous une
pluie froide, en février.
Je la
longe pour aller nulle part, à l’hôtel Dieu, je la reprends dans l’autre sens
pour retourner nulle part, c’est-à-dire chez moi.
Lu Le
pivert nu et les tomates vertes ; vu Humberto D, La Ciociara. [Wikipedia vous en dira plus.]
Sinon
rien.
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