Je vais avec ma fille aux puces pour lui
acheter une veste chaude rembourrée de simili-fourrure (poils) blancs pour
l’hiver. C’est son cadeau de Noël, 50 euros. Aux puces on paie en liquide. Je
dis le prix à cause de la suite.
Nous traînons un peu. J’observe les joueurs
de bonneteau. Au bout de plusieurs parties j’arrive à suivre et comprends
comment il embobine son public, en disant « le blanc… le blanc… le
blanc… », alors qu’à un moment ce n’est plus le blanc, puis en se taisant,
continuant à manipuler ses gobelets en silence.
L’on avance, ma fille est je ne sais où,
loin devant moi. Un autre bonneteur. Je suis un peu à l’écart, le bonneteur
m’apostrophe : « il est où ? », je suis persuadé de mon
coup et le lui montre. La manipulation a commencé. Je me pique de suivre les
arcanes profonds de la pensée de Melville, j’ai très bien décrypté une seconde
plus tôt les manigances de l’autre, où je crois les avoir décryptées, et ici,
du premier coup, je tombe dans le piège grossier. Il sort deux billets de
cinquante, « allez jouez cinquante » me dit-il en matière de défi. Un
autre, un compère bien sûr, m’encourage, et je ne sais ce qui m’a pris, moi qui
d’habitude n’ai jamais un sou sur moi, je sors mon billet de cinquante, comme
s’il était évident que j’avais gagné, sûr de moi, alors que s’il m’encourageait
(s’ils m’encourageaient) c’est évidemment qu’il savait sous quel gobelet était
la petite boule blanche. Et je lui donne mes cinquante euros. J’ai perdu
cinquante euros en dix secondes.
Quelle honte ! Et comme j’ai l’art de
la culpabilité, toute la journée je me suis flagellé. Encore ce soir devant ma
soupe avec ma fille : « nul, tout raté, mauvais père » ;
laquelle me répond, avec sa vitalité formidable : « allez papa, ne
regarde pas le passé, tu as un avenir, fonce en avant », etc.
Cuisant. Enfin, je peux toujours me dire
que cinquante euros ce n’est pas cher payé pour une si magistrale leçon.
(Référence : le tableau de Bosch, tout à fait ma tête.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire