Coustaury tenait deux ou trois fois par semaine un étal de livres
d’occasion au marché de notre petite ville. Un jour il avait écrit sur un carton
plié en forme de chevalet posé sur ses livres : « Traîne-savates, bas
les pattes, pas touche aux livres ». Cela donne une idée du personnage.
Une façon d’encourager le chaland…
Je crois qu’il lui arrivait de dormir parmi ses livres au fond de sa
camionnette déglinguée.
Coustaury avait écrit sa vie, son autobiographie, sous forme de roman
— en vers.
Je possède la photocopie d’une lettre de Maurice Nadeau. Son écriture
en pattes de mouche est peu lisible, mais j’arrive à déchiffrer :
« Vous me demandez mon avis. Il est très positif. J’ai lu, relu, à haute
voix, pour moi. […] Pourquoi ne pas publier ? Je vous le demande. Après un
choix, qui mettrait mieux en valeur. Cela nuirait au roman ? Je ne crois
pas. On n’en verrait que les moments forts. À vous de parler. » Je suppose
que Coustaury n’a pas donné suite.
Berger, de son côté, l’a fait mariner des mois. Il lui avait laissé espérer
une publication, puis il a renoncé. Il y eut des échanges de lettres peu
amènes. Coustaury a reproché notamment à Berger de ne pas l’éditer mais de
publier l’ouvrage médiocre d’un débutant. Berger a répondu : « Je
sais que c’est une merde, mais ça au moins, ça se vendra. » C’était le
deuxième roman de Beigbeder. Berger n’était pas la moitié d’un malin. J’ai eu
deux autres occasions d’en juger.
Cela s’est terminé par des insultes de part et d’autre. Par exemple,
je me souviens qu’un jour Berger m’a téléphoné : « Dites-moi ?
Coustaury, il n’est pas suicidaire ? Je peux lui dire ce que je pense de
sa conduite ? »
Je garde précieusement Le Terrain Beausoleil, sous la forme d’un polycopié.
Il avait aussi publié à compte d’auteur un livre sur Rimbaud, Aphinar.
Je ne l’ai pas beaucoup connu. Eve Giannettini pourrait peut-être en
dire plus.
Après toutes ces années j’entends encore sa voix, son intonation. Je
me souviens de sa démarche. Je l’aimais bien.
Je l’ai perdu de vue.
Bien plus tard j’ai appris qu’on l’avait retrouvé mort dans son local
du marché Vernaison (puces de Saint-Ouen), où il dormait.
Sur Internet j’ai trouvé ces deux dates:
26/8/1942-26/9/2004.
« Je m’en fous
Je ne suis pas pratique
Je ne suis pas utile
Je suis ce que je suis
Enfin gratuit »
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