«Votre cathédrale est le témoin
vivant de ce petit monde provincial disparu, plus cultivé, plus vraiment
civilisé que le nôtre, s’il n’était pas meilleur. Ô ! non. il n’était pas
meilleur. La férocité humaine, cela seul ne change pas. Votre cathédrale vous
dira, peut-être, tout ce qu’elle a souffert de la part des hommes au cours des
siècles : Dieu sait si elle a été insultée, mutilée. Mais peut-être vous
dira-t-elle qu’aux pires injures des hommes et du temps, elle a survécu, comme
elle survit, comme elle survivra à notre abandon. Ce qu’elle va vous raconter
ce soir, elle continuera de le raconter aux étoiles, si jamais les derniers
Bazadais l’abandonnaient, si elle demeurait seule à rêver au-dessus des maisons
mortes.
» Mais cela n’arrivera pas. Et même,
il me plaît d’imaginer qu’un jour viendra, où les hommes mourront de tristesse
dans les alvéoles de béton des grandes villes où ils s’entassent aujourd’hui,
où ils n’en pourront plus de respirer les relents de mazout, d’être assourdis par
des moteurs qui auront envahi peu à peu, non seulement tous les chemins de la
terre, mais toutes les routes du ciel. Alors, ils se souviendront des maisons
abandonnées autour de la cathédrale éternellement vivante. Ce sera le retour
des enfants prodigues, et les vieilles provinces ressusciteront. La cathédrale
de Bazas attendra cette heure sans impatience, car un siècle est pour elle
comme un jour. Mais la fête de ce soir lui donne l’avant-goût de la joie qui
fera tressaillir ses vieilles pierres, quand le temps sera venu du grand
retour, et que, chassés des banlieues empestées, tous ses enfants embraqueront
de nouveau sur l’antique vaisseau ancré depuis tant de siècles dans les douces
collines du Bazadais.»
(François Mauriac, texte dactylographié par madame
Mauriac, enregistré à Bazas le 16 septembre 1960 pour être diffusé le 18 au
soir [son et lumière]. Il faut imaginer la voix de
Mauriac, diffusée par haut-parleurs au-dessus de la grand-place.)
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