dimanche 17 février 2013

Mollet, mollassonne



Que dire, rien. La vie est triste. Il ne se passe rien. Seule mince anecdote, madame Deuxpieds se fait rabrouer dans les couloirs par l’aide-soignante puis par l’infirmière. Elle tient dans ses deux mains l’assiette et les couverts sales de sa voisine de chambre qu’elle veut emporter à l’office. «Vous n’avez pas le droit, nous allons passer les chercher» crie maladroitement l’aide-soignante du fond du couloir; «mon chariot ne transporte que des médicaments» dit l’infirmière. (À quoi reconnaît-on une infirmière? Elle a un ordinateur sur son chariot.) L’infirmière pénètre dans une chambre, l’autre est loin et occupée. «Vite, vite» dis-je à madame Deuxpieds, elle s’éclipse dans le couloir transversal. Elle fonce vers l’office, elle se retourne et me fait un clin d’œil, amusée par la situation.
Ma mère et sa voisine sont étendues sur leur lit dans le noir. Elles ont l’air de dormir, mais s’éveillent tout de suite alors que j’entre sans bruit. Elles prétendent toutes les deux qu’elles ont passé toute l’après-midi comme ça. Je ne sais pas. Ma mère est triste, molle, elle ne mange qu’un petit quart de son assiette d’œufs mollets sauce tomate haricots verts. Je suis obligé de lui enfourner dans la bouche les cuillers de danette au praliné. Elle n’a pas envie de tendre le bras jusqu’au pot de plastique, et puis je dois le lui tenir car il ne tient pas bien en équilibre, pourquoi donc ces pots sont-ils évasés vers le haut?
Depuis des jours et des jours, elle me regarde longuement avec des airs de chien battu. Elle scrute mon regard comme si elle allait y lire son destin.
Que je reste longtemps ou pas ne change rien: il faut à un moment ou à un autre partir. Dès que je rentre dans cette chambre, et même dès que je décide d’aller la voir, je crée inéluctablement cet événement à venir qui va nous faire souffrir: la séparation.
Puis à nouveau les rues désertes, je croise des ombres. On m’attend à la maison, mais non, on ne m’attend pas, on ne peut partager cela avec moi, et c’est tant mieux pour eux, heureusement. Je ne suis pas si mauvais, je ne veux pas partager avec eux, laissons les rire, pour partager il y a ici.



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