J’avais promis un article à notre
honorable rédacteur en chef le mois dernier, que je n’ai pas écrit. Voici
pourquoi.
En ce début du mois de septembre, il
faisait un temps radieux, si radieux que je me décidais à accomplir une promesse
que je m’étais faite à moi-même et qu’il fallait accomplir vite, car les années
filent, même si certains le nient, et les jambes, répondent de moins en moins.
Et passent de moins en moins les douleurs, les bobos, les arthrites, les signes
avant-coureur, qui sont promesses
de déambulateur, de chaise roulante, de maison de retraite, d’immobilité
définitive. En tout cas qui nous promettent de ne plus trop courir les chemins
de grandes ou de petites randonnées.
Donc j’étais résolu à partir à pied
tant que je pouvais encore le faire.
Il fallut d’abord acheter un guide. Je
ne tairai pas le nom de ce guide, d’autant que je le recommande car il est très
bien fait, il s’agit d’une collection dont le titre nous fait hésiter au
départ : ce guide est celui de la collection Miamiam Dodo — un titre comme
ça ne s’invente pas ! Puis il fallut dresser une liste, suivre une
« check list » bien établie, lui obéir méthodiquement, sans en sauter
une ligne, ce sont les détails les plus simples qui importent le plus. Donc aller
dans la grande surface, dont je tairai le nom, se procurer les affaires
nécessaires, chaussures, sac à dos (attention au piège : trop petit vous
n’y mettrez pas grand-chose, trop grand, il faudra se le coltiner le long du
parcours, ça pèse aux épaules), cape de pluie, chaussettes sans couture,
pommade pour les pieds enflés, brûlés, arrachés, cloqués, meurtris, et les
mollets raidis… Et faut-il emporter sa tente ? en septembre ? bref,
une multitude de petites questions auxquelles il ne faut pas manquer de
répondre judicieusement.
Faire son check-up aussi : comment
va la petite santé ? Avant le départ, des semaines avant, voire des mois
avant le départ, il a fallu s’entraîner, et après recommencer une fois les
nouvelles chaussures achetées, car comment marche-t-on avec ses nouvelles
chaussures ? elles doivent s’assouplir, s’élargir, s’adapter aux pieds
fragiles, se « faire ».
Et puis à l’aide du Miamiam Dodo,
téléphoner aux hôtels, gîtes d’étape, campings avec mobil-home. On ne peut plus
partir à l’aventure. Plus il y a de chemins aménagés, moins il y a de chemins
« libres » ; à vrai dire, il n’y en n’a plus. Plus il y a de
randonneurs moins on est autorisé à faire du camping sauvage. À vrai dire, je
crois que c’est interdit partout en France désormais. Il n’y a qu’au-dessus de
2500 mètres d’altitude, au bord d’un torrent de montagne, que l’on est à peu
près assuré qu’il n’y aura pas un garde champêtre qui viendra vous réveiller en
vous tirant par les pieds au milieu de la nuit. Et en suivant le guide, bien lire
les chemins, les cartes, parce que, d’une part, on l’a dit, il n’est plus
possible d’emprunter des chemins hors des chemins balisés, d’autre part, à
pied, si vous vous égarez et que vous devez rebrousser chemin et faire ne
serait-ce que cinq kilomètres de plus, ou si le soir après trente kilomètres de
marche, épuisé, vous vous rendez compte que le seul endroit où dormir est à dix
kilomètres de là, c’est bien embêtant, bien plus embêtant que lorsque, en
automobile, l’on a raté la sortie à une bretelle d’autoroute. Donc partir à
l’aventure, c’est ne pas partir à l’aventure.
Mais il faisait si beau, il y avait la
promesse d’un si chaud automne, nous fréquentions encore les plages, nous nous
immergions encore dans la mer de Bretagne pas si froide, que nous décidâmes de
retarder le grand départ et d’aller à la découverte de là où la terre finit, le
Finistère.
Un jour à l’île de Sein, deux
kilomètres de long sur moins d’un de large, pas un arbre, de la belle lumière
et du vent, trois monuments en mémoire des fameux héros qui rejoignirent de
Gaulle aux toutes premières heures, un ou deux petits cafés, un grand phare
noir et blanc, et au-delà, la « chaussée de Sein », ce prolongement
de l’île loin en mer, sous forme de récifs, d’écueils traitres, avec, tout au bout,
sentinelle isolée, le célèbre, le mythique phare Ar Men.
Un jour, la rivière Odet, qualifiée par
beaucoup, et c’est dit-on Zola qui le dit le premier, de « plus belle
rivière » de France. Mettons. Elle sillonne charmante entre des bois
touffus, à travers lesquels par place une trouée permet d’apercevoir des belles
demeures néogothiques bâties par les riches Quimpérois.
Un jour, pour finir, le plus beau jour,
l’archipel des Glénan (sans « s » à Glénan), à quelques encablures de
la côte, tout une farandole d’îles disposées en cercle, bien découpées, avec
plages et caps pittoresques, landes, tapis de fleurs inconnues. Par un temps
superbe. De Sein, des Glénan, de cette semaine de début septembre, je retiens surtout
la lumière.
Je suis rentré, prêt à partir à pied — enfin !
Mais le temps avait changé. Je me suis assis devant le poste de télévision à
écouter heure par heure les prévisions météorologiques des jours suivants. Je
me suis assis devant la fenêtre à observer les gouttes qui glissaient lentement
sur la vitre.
Nous n’irons
pas par les chemins, ni sur les traces de Flaubert, ni sur celles de Stevenson,
ni non plus à la suite des pèlerins de Compostelle, nous rentrerons dans nos
pénates, au chaud, à guetter les tempêtes d’ouest, à surveiller les frimas
devant notre cheminée, nous attendrons la nuit qui tombe tôt, un livre ou un
chat sur les genoux, nous verrons à la télévision la nouvelle intifada en
Israël, les attentats en Turquie, ou les embouteillages monstrueux sur le
périphérique parisien, ou encore la dernière petite phrase de nos hommes
politiques, nous resterons reclus à attendre les beaux jours, à moins que…